jeudi 17 février 2011

L'histoire des Hemayan

HISTOIRE DES HMAYYANS ED E L A R E G I O N Q U ’ I L S O C C U P E N T A C T U E L L E M E N T (1914) A V A N T P R O P O S Pour tous ceux qui ont séjourné dans le Sud Oranais, à l’époque héroïque, ce nom sonne en fanfare guerrière, faisant éclore des visions de chevauchées superbes et d’exploits de guerres splendides. Partout, dans notre marche progressive vers le sud, on rencontre ces rudes cavaliers, rapides, légers, alertes, toujours prêts au combat, capables de tous les efforts et susceptibles de tous les dévouements, si le chef français qui les commande a su gagner leurs cœurs par son énergie, sa vaillance et sa justice. Ecrire leur histoire ne saurait être l’œuvre que d’un lettré ou d’un poète, car seules, des chansons de gestes conviendraient à leurs hauts faits. Orgueilleux, frivoles, peu religieux, ils sont avant tout impulsifs. Ils aiment le combat pour lui-même, ne craignant pas le danger, mais surtout adorent le pillage, la razzia, non seulement pour le profit qu’elle leur donne, mais aussi pour le triomphal retour au douar qui la suit, où les youyous des femmes remplissent leur cœur d’une joie vaniteuse et leur font espérer d’amoureuses aubaines, car sous n’importe quel ciel, la Victoire auréole le Guerrier d’un nimbe qui fait naître la Passion. Quoique relativement peu religieux, les Hamayyan redoutent les marabouts; ils les entretiennent avec une constance étonnante, car ils craignent leurs sorcelleries; le cas échéant, ils peuvent être poussés à les suivre dans des voies fâcheuses pour notre cause. Grands nomades par excellence, leurs douars se déplacent sans cesse à travers les immenses steppes où, par nécessité, nous les obligeons de vivre, malgré le manque d’eau et les conditions défectueuses d’existence qu’ils rencontrent. Seule, la ligne étroite et rude du Jebel Antar, continuée par le Jebel Bou Khachba et le Jebel Guettar, rompt vers l’est la monotonie de cette immensité qui semble désertique et où, par un de ces hasards que prodigue la Nature, les moutons trouvent cependant le moyen de vivre, de se multiplier et de rapporter. Les Hamayyan sont possédés de la passion du mouvement, presque autant que de celle de la razzia. L’hiver les voit au Gourara, l’été vers Tlemcen et Sebdou, le printemps et l’automne seuls les ramènent à peu près sur le territoire du cercle de Méchéria, transhumant sans cesse à la recherche de pâturages. Il y a peu de temps encore, c’était sur un perpétuel qui-vive, l’œil aux aguets, le fusil en travers de la selle, que les chefs de tentes effectuaient leurs déplacements. Ayant sans cesse quelque compte à régler avec leurs voisins quelque revanche à prendre, quelques représailles à exercer, ils devaient veiller toujours et leur œil habitué distinguait, dans le lointain des grands horizons, l’ami ou l’ennemi qui pouvait être proche. Aujourd’hui, que nous avons établi la sécurité dans toute cette région, le Hamayyani engraisse, il prend des allures de marchand et commence à savoir commercer comme un juif. Il est temps d’écrire son histoire, car il va sombrer dans la médiocrité qu’apportent le bien-être et les conditions meilleures de l’existence. C’est pourquoi nous avons rassemblé les documents susceptibles d’aider un jour celui qui, vivant en poète se sentira suffisamment amoureux des épopées et qui connaîtra assez ces féodaux pour chanter leurs hauts faits. Nous avons pensé qu’il ne serait pas inutile de rechercher qui les avait précédés sur cette dure terre des Hauts Plateaux; mais ce que nous avons pu recueillir à ce sujet n’est guère que de la « préhistoire ». Tels quels, ces renseignements ont leur intérêt et notre travail nous aurait semblé incomplet si nous ne les avions pas mentionnés. P R E M I E R E P A R T I E C H A P I T R E I LES ORIGINES. -- L’OCCUPATION ROMAINE Dans leur géographie africaine, les Romains appelaient « Gétulie » la contrée située au sud de la Numidie et de la Maurétanie et formant la région existant entre le Tell et le Sahara, qui comprend les Hauts Plateaux oranais faisant donc partie de cette division de l’Afrique Septentrionale. Sous le nom générique de « Gétules », on comprenait les peuples de la première race, qui devaient donner naissance aux Berbères Sanhaja et Zénètes, ainsi qu’aux diverses peuplades Touaregs : ils ne formaient pas un ensemble, mais étaient simplement groupés en familles. Les Hauts Plateaux ont, aux époques primitives, marqué la limite entre deux races très différentes : « Deux groupes, dit M. Tissot, ont à l’époque la plus reculée, peuplé le massif atlantique; l’un remontant du Sahara vers le nord, l’autre descendant de l’Europe méridionale vers le sud.. Tel paraît être le fond primitif de la race berbère, et nous y distinguons dès ce moment les deux éléments ethniques dont on retrouve la trace dans les traditions des âges suivants, comme on les reconnaît encore dans l’anthropologie africaine, une race brune européenne et une race blonde algérienne (1). » . Cette différence s’accentua encore dans la suite. Les habitants du versant septentrional reçurent, en effet, l’empreinte des civilisations qui les modifièrent peu à peu. Ils connurent les Phéniciens, les Grecs, les Carthaginois, les Romains, les Byzantins, les Espagnols. C’est aussi sur eux que pesèrent le plus lourdement les invasions des Vandales et des Arabes, ainsi que la domination turque. Les habitants du versant méridional, au contraire, paraissent avoir été à l’abri de tous ces bouleversements. Indépendants, les Gétules menèrent de tout temps une existence sauvage partagée entre l’élevage des troupeaux, les luttes contre leurs voisins et les incursions dans le Tell. Leurs efforts furent isolés, et le brigandage forma une de leurs principales ressources. Carthage trouva en eux des auxiliaires dans sa lutte contre Rome. Lorsque Hamilcar passa en Espagne, en suivant la côte, des Gétules se joignirent à lui, et, dans cette armée considérable qu’Annibal emmena à la Trébie, à Trasimène, à Cannes, ils combattirent à côté des Gaulois, des Ethiopiens, des cavaliers numides et des Frondeurs des Baléares. Il est certain que ceux des Hauts Plateaux oranais, apprenant le passage de ces masses imposantes d’hommes, d’éléphants, de bagages, vinrent grossir leur nombre. De telles expéditions, dans de riches contrées et commandées par des généraux réputés, leur promettaient des occasions de pillage qui suffisaient à les attirer. Il est impossible de savoir la part exacte qu’ils prirent aux guerres de Massinissa, de Jugurtha et des Rois de Maurétanie, mais il est certain que leur concours ne fut chaque fois que momentané et isolé; soit que la défaite menaçât leur allié, soit que le succès leur eût assuré un riche butin, ils s’empressèrent toujours de revenir sur les Hauts Plateaux pour y reprendre leur existence indépendante. L’occupation romaine se fit lentement de l’Est à l’Ouest; sous Claude, l’Afrique était divisée en quatre provinces : la Proconsulaire (Tunisie actuelle), la Numidie, la Maurétanie Césarienne et la Maurétanie Tingitane. Mais si les tribus du Nord paraissaient se soumettre au joug des Romains, il n’en fut pas de même des Gétules. Ceux-ci, remuants et pillards étaient restés depuis l’origine des temps, sans progresser sensiblement et se montraient rebelles à toute idée de civilisation. Les Romains eurent à lutter pour repousser leurs incursions dans le Tell, où s’était développée à cette époque une prospérité inouïe. Ils construisirent dans ce but, aux limites de la région colonisée, des « castella ou burgi » et y installèrent des troupes composées en majeure partie d’indigènes (auxilia); ces postes étaient placés de façon à commander les passages dangereux et à surveiller les routes par lesquelles les pillards pouvaient déboucher. Ces garnisons ne se contentaient pas de rester sur la défensive, mais elles se mettaient à la poursuite des assaillants et s’engageaient derrière eux dans le désert ; elles furent amenées à faire de véritables colonnes dans cette région. C’est ainsi que, sous Claude, les Maures de l’Ouest s’étant révoltés, le général Suétonius-Paullinius jugea ne pas devoir s’arrêter après un demi-succès remporté sur eux; pour leur donner une leçon sérieuse, il se lança à leur poursuite dans des régions jusqu’alors inconnues et poussa, dit-on, jusqu’à l’Oued Guir. Dans cette expédition, il utilisa ce qu’on appelle aujourd’hui les « Goums ». Les Romains, comme on le voit, ne firent que de l’occupation restreinte. Ce système devait être précaire malgré le déploiement d’un appareil formidable pour l’époque et malgré les pointes hardies lancées jusque dans le Sahara. Il ne suffisait pas de renforcer les postes, de les reporter même plus au sud ; comme devait le dire beaucoup plus tard Bugeaud : « la paix définitive de l’Algérie est dans le Sahara ». Les tribus nomades se massaient à la limite du désert et tous les efforts faits par les Romains pour contenir les Gétules ne les empêchèrent pas de s’avancer continuellement, par un mouvement lent et irrésistible, vers le nord. Lorsque l’empire romain entra dans la période de la décadence, par groupes isolés, ils s’étendirent peu à peu dans le Tell à mesure que la puissance impériale s’affaiblissait. C’est d’ailleurs là une tendance naturelle que l’on constatera souvent chez les tribus des régions désertiques. Lorsque à l’anarchie politique vint s’ajouter la guerre religieuse qu’acheva la ruine de la domination romaine, la tentative de colonisation et la vie agricole tentée aux limites des Hauts Plateaux disparurent bientôt pour faire place aux anciennes mœurs des peuples pasteurs. Les indigènes avaient repris leur vie propre quand arrivèrent les Vandales. Il est certain cependant que la Civilisation romaine pénétra chez quelques tribus barbares; au VIe siècle, en effet, sous les derniers rois Vandales, existait au Sud du Tell oranais un royaume indépendant que gouvernait Masuna, avec le titre de « roi des Maures et des Romains » ; sur un monument élevé à propos de la construction d’un château fort, on a découvert une inscription rédigée en latin et datée par l’ère de l’ancienne province (anno provincias), et l’on y a retrouvé les formules dont on se servait pour les Césars « Pro salutate et incolumitate » . C H A P I T R E I I LES VANDALES ET LES BYZANTINS Au mois de mai 429, les Vandales avec leurs alliés, Alains, Suèves, Goths et autres barbares, passèrent le détroit de Gibraltar et débarquèrent en Afrique. Sous le commandement de Gensérie, ils se mirent en marche vers l’est. Traversant, comme une trombe qui détruit tout sur son passage, la Tingitane, les Maurétanies et la Numidie, ils entraînèrent avec eux une foule d’indigènes aux yeux desquels ils représentaient un heureux élément de désordre. Il est possible que comme dans toutes les circonstances semblables qui se présentèrent, des groupements sortis des Hauts Plateaux oranais les suivirent. Trop longtemps contenus, ils trouvèrent là une occasion de dévaster encore le Tell et d’anéantir à leur profit les derniers vestiges de la colonisation romaine. Gensérie, maître de l’Afrique septentrionale, fit raser toutes les fortifications et divisa son empire en cinq provinces, parmi lesquelles la Gétulie, comprenant le Jérid (région d’oasis au Sud de la Tunisie) et tous les pays méridionaux. Les Vandales ignorèrent toujours les Hauts plateaux oranais et ne prirent aucune précaution contre le brigandage de ses habitants. Dans cette occupation éphémère, ils n’atteignirent jamais la région des Chotts oranais, dans laquelle, comme nous l’avons vu, il existait au VIe siècle un royaume indépendant que gouvernait Masuna. Impuissante à assurer l’ordre dans cet immense empire que Gensérie avait mis peu de temps à conquérir, ses successeurs eurent à supporter plusieurs révoltes des Berbères : ils en furent vite réduits à la seule possession du littoral et certaines tribus Gétules profitèrent de cette période troublée pour aller dans le Tell. L’anarchie était complète quand Justinien décida d’intervenir en Afrique pour restaurer la Province romaine autrefois si prospère. En l’espace d’un an, Bélisaire dispersa ces vandales qui, après la conquête, n’avaient pas su organiser, mais s’étaient lancés dans des courses aventureuses en Italie et dans les îles de la Méditerranée. Dans les instructions qu’il donna, l’Empereur disait : « Que nos officiers s’efforcent, avant tout, de préserver nos sujets des incursions de l’ennemi et d’étendre nos provinces jusqu’au point où la République romaine, avant les invasions des Maures et des Vandales, avait fixé ses frontières. » Mais la situation du pays était profondément modifiée car la population berbère avait reconquis peu à peu une partie des territoires abandonnés par les colons et n’était nullement disposée à les restituer. Bien au contraire, l’élément indigène se resserrait de toutes parts, se réunissait même en corps de nation en face de l’occupation étrangère. Celle-ci ne s’étendit jamais au-delà des limites de la province de Constantine et encore cette région fut-elle en état de rébellion permanente. -- Zénètes de la première race – La province d’ Oran ne connut donc jamais les Byzantins et, quand leur domination disparut devant l’invasion arabe, il existait, au sud de Tlemcen et sur les Hauts Plateaux, dans le Maghreb central, une tribu berbère, « les Irnianes », qui vivait dans une complète indépendance. Les détails manquent sur son origine et sa constitution ; on la rattache aux groupes des anciennes tribus Zénètes issues des Gétules. C H A P I T R E I I I L’INVASION ARABE ET LES ZENETES DE LA PREMIERE RACE Après l’entrée de Mohammed (QSSSL) à Mekka, l’islamisme était fondé. Par la persuasion ou par la force, les Arabes durent adopter le nouveau culte, et la Guerre Sainte, imposée à tous les croyants comme une stricte obligation, allait ouvrir la voie aux conquêtes. Les nouveaux convertis trouvaient d’ailleurs dans leur prosélytisme la satisfaction d’une de leurs passions favorites, le pillage. Il n’est donc pas surprenant que la religion de Mohammed ait fait de si rapides progrès. En peu de temps, l’Irak, la Mésopotamie, la Palestine, l’Egypte, la Tripolitaine, l’Ifriqya, tombèrent au pouvoir des Arabes. Ils fondèrent Qaïraouan et c’est de cette ville qu’ils partirent pour entreprendre la conquête du Maghreb. Deux expéditions paraissent seules s’être aventurées jusque sur la région des Hauts Plateaux oranais ; celle d’Oqba, en 681, qui s’avança jusque dans le Maghreb el Aqça après avoir battu les berbères devant Tiaret et qui, parvenue dans le Souss, revint vers Biskra en passant par le Mizab ; et celle de Moussa Ibn Noceïr, en 705, qui porta ses armes victorieuses jusqu’aux oasis de Sijilmassa. En un peu plus de cinquante ans,fut consommé l’asservissement du peuple berbères aux Arabes. Mais les Zénètes, tout en se laissant extérieurement arabiser, restèrent berbères comme les autres tribus ; sinon par conviction, du moins par cupidité, ils suivirent en Espagne et en Gaule leurs vainqueurs, qui croyaient éprouver l’ardeur de leurs néophytes en les employant comme auxiliaires dans la Guerre Sainte. Les Berbères ne furent pas le seul obstacle que rencontrèrent les Arabes dans le Maghreb ; il existait, en effet, depuis plusieurs siècles dans cette contrée, une race Judéo – Berbère : des tribus juives venues, suppose-t-on, de l’Arabie par l’Ethiopie, émigrèrent successivement en Cyrénaïque, en Lydie ; les Empereurs byzantins les expulsèrent de l’Ifriqya. Pour fuir la persécution dont elles étaient l’objet, beaucoup d’entre elles se réfugièrent dans les massifs montagneux ; marchant, vers le sud - ouest, les fractions d’avant - garde de ce mouvement, les Mediouna et les Kouima allèrent échouer à Tlemcen et sur le Plateau central de la province d’Oran. De là, elles s’étendirent, d’une part, jusqu’au Sahara et au Soudan, jusque dans le Maghreb el Aqça, d’autre part. Cette race, supérieure à la race berbère, fournit à celle-ci des chefs dans la lutte contre les Arabes, et, ainsi que l’affirme Ibn Khaldoun, Dahia. Cette femme remarquable, qui tint en échec El Haçan, était d’origine juive, comme l’indique son surnom de « Kahina ». Ces deux éléments, soumis en apparence, n’attendaient qu’une occasion pour se révolter. Les Zénètes, en particulier, poussés par leur esprit de résistance à l’envahisseur, étaient tous disposés à accueillir les hérésies qui divisèrent l’Islam; ceux du Sud - Oranais, après un semblant de conversion, se rallièrent au Kharijisme de la secte Sofrite, qui comptait beaucoup d’adeptes dans le Maghreb el Aqça. Les Arabes, d’ailleurs, au lieu de s’attacher ces nouveaux convertis, les traitèrent en vaincus. Non contents de leur enlever leurs filles, de décimer leurs troupeaux, ils firent des expéditions jusqu’au Souss et dans l’extrême Sud, d’où ils ramenèrent de riches butins et un nombre considérable d’esclaves ; ils voulurent enfin, outre les impôts réguliers, prélever de lourdes contributions sur les populations. La colère des Berbères, trop longtemps contenue, amena des soulèvements continuels à la fois religieux et nationaux. Le premier éclata en 740, dans le Maghreb el Aqça ; Meccira en fut le promotteur ? Dans une bataille qui fut appelée la « journée des nobles », le succès des Berbères fut décidé par l’arrivée de renforts Zénètes, commandés par Khaled Ibn Hamid, et parmi lesquels figuraient, sans nul doute, des Irnianes. Le mouvement s’étendit en Ifriqya et en Espagne. A partir de ce moment, le Maghreb demeura en réalité complètement indépendant et le Kharijisme, au lieu d’être une forme d’hérésie devint une adaptation très vague des préceptes de l’Islam, faite différemment par chaque tribu. Les révoltes se succédèrent alors d’une façon continue, chaque fois que les Berbères sentirent faiblir l’autorité arabe. A deux reprises, Qaïraouan fut prise par les Kharijites, et dans cette lutte, les Zénètes, Béni Ifrène, Magraoua, Irnianes accoururent du Maghreb central pour se joindre à eux. Mais, au cours de ce réveil de l’esprit national berbère, on voit cette race abandonner l’état démocratique pour former de petites royautés. A Tiaret, une; nouvelle cité fut bâtie, où s’installa la dynastie Rostémide; les Béni Ifrène fondèrent Tlemcen ; les Meknaça formèrent, au Tafilalet, un royaume dont Sijilmaça fut la capitale. Ces deux dernières tribus furent trop faibles pour assurer leur domination et résistèrent avec peine aux entreprises des tribus des Hauts Plateaux et du désert qui se déclarèrent bientôt, à leur tour, indépendantes. Enfin, Idriss Ibn Abdallah fit d’Oulili (près de Fès) le siège de la dynastie Idrisside. Ce dernier empire était appelé à jouer un rôle prépondérant dans le Maghreb. Les tribus des Hauts Plateaux oranais restèrent en dehors de toutes les entreprises qu’Idriss fit sous prétexte de combattre le Kharijisme; elles furent au contraire, semble - t - il, le refuge des Kharijites persécutés, que protégeait ouvertement la dynastie de Sijilmaça. Le fondateur de Fès se contenta de s’emparer de Tlemcen, où il installa son cousin et poussa jusqu’à La Mina. Nous manquons de renseignements sur le rôle que jouèrent les tribus des Hauts Plateaux oranais, dans les mouvements politiques et religieux qui agitèrent, au Xe siècle, le Maghreb. Il est certain que cette région vit passer les expéditions dirigées contre Sijilmaça, en particulier celle de Abou Abdallah, en 909, entreprise pour délivrer le Mehdi, Obeïd Allah, qui fonda en Afrique la dynastie Fatémide, et celle des Magraoua et des Béni Ifrène; en 975 Abou Yazid trouva aussi ces populations, comme parmi les autres tribus berbères, ses plus fidèles partisans avec lesquels il alla s’emparer de Qaïraouan. La deuxième invasion arabe ne fit que passer sur les Hauts Plateaux oranais. Les Almoravides, venus de la région du Haut Sénégal, atteignaient le Tafilalet et s’emparèrent de Sijilmaça, maîtres du Souss, ils bousculèrent les Bani Ifrène du Tedla, les Masmouda du Deren et les Benghouata du littoral occidental. Youcef Ibn Tachfin fonda le Maroc et c’est de là qu’il partit pour s’attaquer aux Maghraoua et aux Miknaça du Maghreb central. Leurs partisans les plus fidèles dans cette région furent les Judéo - Berbères. Quant aux Almohades, leur berceau fut la partie du Grand Atlas occupée par les Masmouda. Ils eurent à lutter contre les Almoravides, au Maghreb el Aqça, et lorsque, après en avoir triomphé, ils voulurent étendre leur domination du côté de l’Est, ils furent arrêtés par les Arabes Hilaliens qui chassaient, devant eux, tous les Zénètes qu’ils rencontraient sur leur passage. Zénètes de la deuxième race . A la suite de tous ces mouvements, nous trouvons vers le milieu du XIe siècle, les Irnianes refoulés des Hauts Plateaux jusqu’à Sijilmaça; en même temps, la grande tribu des Ouacines, Zénètes de la deuxième race, apparaît à la lisière de cette contrée, s’avançant dans les déserts de l’Oranie, elle a dû abandonner la partie méridionale de la province de Constantine sous la poussée des Arabes Hilaliens. De l’avis de M. Piquet, on a attribué, à l’arrivée de ces nouvelles tribus, une importance qu’elle n’eut probablement pas en réalité, au début tout au moins. Cette époque a marqué au contraire une renaissance de la vie propre berbère et la prépondérance d’une nouvelle race : Senhaja et Zénètes de la seconde race. Néanmoins, nous devons reporter toute notre attention sur cette dernière invasion arabe, car, parmi les tribus qui la composaient, nous trouvons certains groupements qui se sont fixés sur les Hauts Plateaux oranais, vers le XIIIe siècle et dont quelques uns furent les ancêtres des Hamayyan actuels. Nous allons suivre la genèse de leurs migrations à travers l’Afrique septentrionale. C H A P I T R E I V LES ZENETES DE LA DEUXIEME RACE ET LES HILALIENS Les tribus des Bani Hilal ainsi que celles des Bani Soleïm, étaient établies vers l’époque des Abassides, dans les déserts du Hijaz. D’après Ibn Khaldoun, elles se divisaient en cinq fractions: les Athbej, les Jochem, les Riah, les Zoghba et les Makil ; parmi les Zoghba, on trouve les Hamayyan qui appartenaient à la grande famille des Yazid. L’état normal de ces tribus était le brigandage, elles ne perdaient pas une occasion de se lancer dans le désordre, de prêter appui à tous les agitateurs et de rançonner les caravanes. Pour se débarrasser de ces nomades turbulents, El Aziz les envoya d’abord cantonner sur la rive droite du Nil, dans le Sud de Haute Egypte. Ils ne tardèrent pas à rendre ce pays inhabitable et, pour y remédier, le Khalife fatémide les lança sur la Berbérie. Il est difficile d’évaluer approximativement le nombre des envahisseurs de ces grandes tribus. Certains auteurs estiment qu’ils devaient être un million, chiffre qu’il convient de diminuer en raison des guerres qu’ils eurent à subir et en Arabie et en Syrie. En réalité, ils n’auraient compté à leur arrivée dans l’Ifriqya que 200.000 personnes, dont 45.000 guerriers. En raison des conditions meilleures qu’ils trouvèrent à leur arrivée en Berbérie, ils s’accrurent rapidement et les tribus mères se subdivisèrent dans la suite en un grand nombre de fractions. Leur entrée en Tunisie est définitive après leur victoire à Baïdéçar, près de Gabès, sur El Moezz . Maîtres de Qaïraouan, ils signèrent une trêve avec le souverain de Tripoli et se partagèrent leurs conquêtes. Les Zoghba eurent pour leur part Gabès et la région comprise entre cette ville et Tripoli. Quelques années après, les Zoghba eurent à lutter contre les Riah, leurs voisins. Chassés successivement par eux de tous les territoires, ils abandonnèrent la Tunisie et émigrèrent dans le Hodna et sur les Hauts Plateaux du Maghreb central. Ils y menèrent la vie nomade et, entre leurs monts, ces régions furent bientôt changées en solitudes ; les Makil, qui les occupaient auparavant se massèrent aux environs du Mont Rached ( Jebel Amour ). Jusque vers le milieu du XIIe siècle, les Zoghba guerroyèrent constamment contre les Riah et les Athbej. A ce moment, l’armée envahissante d’Abdel Moumen s’avançait jusqu’à Béjaïa ; voyant instinctivement dans les Almohades des adversaires redoutables, les Hilaliens oublièrent leurs querelles et, sous prétexte de venger Yahia, dernier souverain Hammadite qui s’était soumis après la prise de Constantine, ils se concentrèrent sur les versants de l’Aurès et de là marchèrent sur Sétif. Ils se heurtèrent à l’armée d’Abdallah, fils d’Abdel Moumen. Un combat acharné dura trois jours ; le quatrième jour, les Arabes cédèrent sous la poussée des Almohades qui les poursuivirent jusqu’à Tébessa. Quand Abdel Moumen fut rentré au Maroc, il reçut avec bienveillance les députations des tribus arabes venues pour lui offrir leur soumission. Les Hilaliens rentrèrent dans leurs douars chargés de présents et ramenant à leur suite les prisonniers de Sétif. Les Jochem, les Riah, les Athbej oublièrent vite leurs serments. En 1085, quand Ali Ibn Rama se révolta contre les Almohades et s’empara de Béjaïa, ces tribus se rangèrent sous sa bannière ; seuls, les Zoghba demeurèrent fidèles aux souverains du Maroc et défendirent le territoire méridional du Maghreb du milieu. Deux ans après, Abou Youssef vint rétablir l’ordre et poussa jusqu’à l’Ifriqya. En chemin, il rallia les contingents des Arabes Zoghba et, rentré des territoires usurpés, il châtia avec la dernière sévérité les Arabes qui avaient soutenu son ennemi. Pour les mettre dans l’impossibilité de nuire, il se décida à les exporter au Maghreb. Il fixait ainsi l’élément arabe au cœur de la race berbère, ce qui allait amener une série de troubles et affaiblir l’empire Almohade. Lorsqu’il tomba en 1269, les Zoghba étaient ainsi répartis dans le Maghreb central : Les Yazid l’occupaient depuis le Jebel Dira jusqu’au Dehous et à la vallée de l’Oued Sahel, touchant à l’est aux tribus Athbej et au sud, aux Daouaouda avec lesquels ils étaient continuellement en guerre. Les Ameur tribu d’origine Athbej passée aux Zoghba, s’étendaient du Jebel el Akhdar ( à l’est de Médéa ) jusqu’au Jebel Rached ( Jebel Amour actuel ). Nous avons vu que les Zénètes Ouaciens avaient été repoussés des déserts de la province de Constantine par les Arabes. Ils s’étaient ensuite fractionnés en trois groupes principaux : les Toujine, les Béni Merine et les Abd el Ouahad. Ces derniers dominaient sur les Hauts Plateaux oranais à la fin du XIIe siècle. Ils étaient considérés par les Almohades comme leurs partisans les plus dévoués dans le Maghreb. Un de leurs cheikhs, Jaber Ibn Youcef, ayant rétabli leur autorité à Tlemcen, reçut du khalife le gouvernement de cette ville. Les Abd el Ouadites allaient connaître « l’ivresse du pouvoir ». En 1235, ils proclamèrent comme chef, ainsi que les villes du Maghreb central, Yaghmoracen Ibn Ziane ; sous le commandement de ce prince, véritable fondateur de la dynastie Abd el Ouadite, Tlemcen s’éleva au rang de métropole. Abou Zakaria, sultan de l’Ifriqya, voyait non sans jalousie cette puissance se dresser entre lui et le Maroc. Pour la détruire, il prétexta l’interception d’un présent envoyé par lui à la Cour de Fès. Il quitta Tunis à la tête d’une armée régulière nombreuse; en passant par le Hodna et le Mont Rached, il entraîna sous ses étendards les Zoghba, les Souaïd et les Ameur. Lorsque ce grand rassemblement arriva sous les murs de Tlemcen, un combat acharné s’engagea ; mais la lutte était inégale. Yaghmoracen dut abandonner sa capitale après s’être ouvert un passage à la pointe de l’épée. Lorsqu’il eut livré la ville au pillage, Abou Zakaria s’aperçut de l’impossibilité de conserver sa nouvelle conquête et quand Yaghmoracen repartit sur les hauteurs qui dominent Tlemcen, le prince Hafside accepta ses propositions de paix et reprit la route de l’est. Yaghmoracen se reconnaissait son vassal. Abou Zakaria mort, les Zoghba devinrent les alliés des Ouadites, qui trouvèrent en eux des auxiliaires dans les combats qu’ils eurent à livrer contre les Toujine et contre le Sultan mérénide Abou Youcef. Ils s’avançaient alors dans la plaine du Chélif et quelques fractions s’étendaient jusqu’à Tlemcen. Comme les Makil, qui occupaient le territoire d’Angad, remplissaient le pays de désordres et de troubles, Yaghmoracen fit venir les Béni Ameur et les établit entre lui et les Makil ; quelques Hamayyan se joignirent à ces émigrants. Ces deux tribus s’installèrent de manière à protéger Tlemcen contre toute entreprise hostile. C’est ainsi que la région des Hauts Plateaux oranais fut, à cette époque, abandonnée par les Bani Ameur. On y a trouvé des traces nombreuses de leur séjour ; ils construisent en effet des ksours un peu partout : à Taoussera, à Asla et à Touajeur ; ils creusèrent des puits dont l’un existe encore chez les Bekakra et un autre à Aïn Mécif chez les Ouled Messaoud. Avant leur départ, quelques-uns de ces puits avaient été recouverts avec des troncs d’arbres et de la terre ; d’autres étaient en partie comblés, comme Oglat Jedida. Les Bani Ameur et les Hamayyan venus vers Tlemcen s’attachèrent à la fortune d’Othman, comme ils avaient secondé son prédécesseur. Ils se battirent avec lui contre les Toujine, contre les Magraoua et contre le Sultan Abou Yacoub, lequel essaya à trois reprises de s’emparer de Tlemcen. Cette ville, qui avait délié toutes les attaques des Mérénides, tomba en leur pouvoir le 1er mai 1337. Son défenseur, Abou Tchefine, trouva la mort avec deux fils en voulant prolonger la lutte jusqu’à la porte du palais. Le trône Ziyyanide renversé, toutes les tribus arabes du Maghreb central tombèrent sous l’autorité directe des Sultans de Fès. Mais cet immense empire manquait de cohésion ; l’élément arabe avait fait son œuvre et les moindres incidents allaient déterminer son démembrement ; aussi les années qui suivirent marquèrent-elles une série de luttes que les Mérinides eurent à soutenir contre les Arabes. Les Hamayyan et les Bani Ameur ne s’étaient jamais départis de leurs sentiments de fidélité envers les Ziyanides. Aussi, quand Abou Hammou II revendiqua ses droits au trône Abd el Ouadite (1358), se rendit-il au milieu des Arabes qui lui organisèrent, de leur mieux, un cortège royal. Le chef des Bani Ameur battit même, au Sud de Tlemcen, les Soueïd ( famille sœur des Yazid), qui voulaient entraver la marche du prétendant. Abou Hammou put rentrer en possession de sa capitale. Elle fut néanmoins l’objectif de deux nouvelles expéditions des sultans de Fès. Le prince Ziyanide employa chaque fois la même tactique : il abandonna Tlemcen et, avec les Bani Ameur, les Hamayyan et les Makil, alla s’installer soit à Oujda, soit à Guercif, menaçant la route de Fès. Il réussit à réoccuper la ville. Mais, au cours de cette lutte, il eut l’occasion de mettre en doute la fidélité des Bani Ameur ; aussi fit-il emprisonner leur chef Khaled lorsque Abou Ziyane marcha contre lui. Obligé de se replier sur Tlemcen, il remit Khaled en liberté sur sa promesse formelle de détacher sa tribu de la cause de son ennemi. Il y réussit, mais à partir de ce jour, les Bani Ameur se séparèrent d’Abou Hammou ; après son insuccès contre Béjaïa, la rupture fut définitive. Khaled entraîna une partie des Bani Ameur vers le Sud et s’unit aux Soueïd ; quelques tentes s’arrêtèrent sur les Hauts Plateaux. Certains groupes Hamayyan se fixèrent sur le territoire abandonné. Abou Hammou, chassé plus tard de Tlemcen, chercha un refuge chez ses anciens alliés ; il alla jusqu’au sud du Jebel Rached, dans les oasis que les Ameurs avaient conservées comme fiefs ; mais ceux-ci l’abandonnèrent et il dut s’enfuir à Tigourarine. C’est là, qu’à la mort d’Abd el Aziz, ses sujets le rappelèrent. Khaled essaya d’insurger contre lui le Maghreb central, mais il fut vaincu à El Koléate Houra (nord de Mascara) et se jeta, avec ses partisans, dans le Jebel Amour (1375). Les Bani Ameur devaient revenir sous les murs de Tlemcen avec Abou Tachefin, qui trouva en eux des auxiliaires lorsqu’il détrôna son père, Abou Hammou. Après l’influence de cette tribu, les souverains Ouadites durent subir celle des Soueïd et des Makil. En effet, pendant toute cette période troublée, les princes berbères, pour combattre leurs voisins ou les populations de leur race, employèrent les Arabes toujours disposés à la guerre. Pour les récompenser de leurs services ou s’assurer de leur concours, ils leur concédèrent les terres des vaincus. Ainsi l’élément berbère fut abaissé, écrasé, et ces Arabes, devenus la seule force de leur dynastie, ne tardèrent pas, suivant l’évolution naturelle des classes, à devenir un danger pour leurs maîtres. Dans les plaines, les Berbères s’assimilèrent les mœurs, les usages, la langue même de leurs envahisseurs; la fusion fut complète entre eux. Quant aux Hauts Plateaux oranais, ils avaient été le refuge des hérétiques, le dernier retranchement de la race zénète, où la première et la deuxième invasion arabe n’avaient fait que passer. Ils allaient devenir au contraire, après l’arrivée des Hilaliens, le berceau des tribus arabes les plus pures, telles que les Hamayyan, les Ouled Serour et les Akerma. Les populations Judéo - Berbères qui se trouvaient dans ces contrées vers le Xe siècle eurent à supporter la persécution des Almohades. Certaines se convertirent en masse à l’Islamisme ; d’autres furent exterminées ; Sijilmaça foyer de la science juive dans l’extrême sud marocain, fut détruite ; à Tlemcen, enfin, tous les juifs furent massacrés. Au fanatisme religieux des Almohades s’ajoutait, en effet, une raison politique; celle d’anéantir les éléments guerriers juifs, essentiellement dévoués aux Almoravides. Continuant leur mouvement vers le sud-ouest que nous avons signalé plus haut, les survivants émigrèrent peu à peu dans la vallée de l’Oued Draâ et dans le Souss. D E U X I E M E P A R T I E C H AP I T R E I L’O R I G I N E D E S H A M A Y Y A N A C T U E L S Il nous a paru nécessaire d’indiquer à grands traits les événements principaux qui eurent lieu en Oranie pour pouvoir chercher à en tirer une conclusion permettant de discuter les origines des Hamayyan actuels. Faut-il voir dans les Hamayyan qui vinrent avec les Arabes Hilaliens en Afrique septentrionale, les ancêtres des tribus qui parcourent aujourd’hui le cercle de Méchéria ? La question prête à discussion. Sans nul doute, quelques éléments de cette grande invasion s’y fixèrent, à la suite des événements que nous venons de raconter, mais trois versions principales sont en présence et peuvent également se soutenir. Elles se basent : La première, sur les données très sujettes à caution qu’ont laissées quelques auteurs arabes. La seconde et la troisième sur les légendes qui se sont transmises jusque chez les Hamayyan actuels, et qui n’ont, évidemment qu’une valeur historique très relative. Elles n’infirment en rien les bases générales sur lesquelles a été scientifiquement établie la marche progressive des diverses invasions arabes, mais ne sauraient cependant être passées sous silence. Au sujet de l’établissement des Hamayyan sur les Hauts Plateaux, Ibn Khaldoun et Si En Naceli donnent la version suivante : « Vers l’année 584 de l’Hégire, Yacoub el Mançour Ibn Youcef Ibn Abd el Moumen Ibn Ali commandait à la majeure partie des tribus de l’Ifriqya ; ces tribus étaient divisées en deux groupes: les Bani Salem, à l’Est, et les Bani Hilal, à l’Ouest. A cette époque, un prétendant, Ali ben Ishaq, appelé aussi ben Ghania, appartenant à la grande tribu des Moulethimine (gens qui se servent du litham ), chercha à supplanter Yacoub el Mançour. Les Bani Hilal ben Ameur, abandonnant ce dernier, prirent parti pour le prétendant ; les Bani Salem demeurèrent fidèles. Partant de Tunis, qui était alors sa résidence, Yacoub el Mançour marche contre son adversaire et, à la suite de nombreux succès, le subjugua, recouvra son autorité et ramena à lui les Bani Hilal qui l’avaient trahi. Néanmoins, pour punir ceux - ci et les mettre dans l’impossibilité d’abandonner de nouveau sa cause, il leur intima l’ordre d’aller camper aux confins de son empire et le plus près possible du Maghreb el Aqça. Les Hamayyan, qui formaient une grande fraction des Bani Hilal, allèrent d’abord dans le Sahara, puis choisirent, pour s’y fixer, une région désertique située entre Mecila (probablement le Jebel Mecila, au sud-ouest d’Oujda ) et la ville de Tlemcen. ». Mohammed Abou Ras ben Ahmed ben Abd el Kader Ennassi, auteur d’un ouvrage de récits historiques sur l’ Afrique septentrionale, donne les renseignements suivants : « Les Hamayyan sont une branche des Bani Yazid, fils de Ab’s, fils de Zoghba. Les pays de Hmanza, les Dahous, le pays des Bani Hacen, étaient leurs tributaires avant les Almohades. Nous allons raconter la cause de la venue des Hamayyan dans la contrée qu’ils occupent actuellement. Lorsque Yaghmoracen ben Ziane devint souverain de Tlemcen, les Makil qui étaient ses voisins, puisqu’ils occupaient le territoire d’Angad, remplissaient le pays de désordres et de troubles. Ce prince fit alors venir les Bani Ameur du Sahara des Bani Yazid, et les établit entre lui et les Makil. En effet, les Zoghba s’étendaient auparavant dans le désert, depuis Mecila, à l’Est, jusqu’au sud de Tlemcen, à l’ouest. Au moment où le roi de Tlemcen attirait auprès de lui les Bani Ameur, la tribu des Hamayyan, branche des Bani Yazid, se joignit à ces émigrants et s’installa entre les Makil et Tlemcen, de manière à servir de bouclier à cette ville, de repousser les attaques dirigées contre elle et de la protéger contre toute entreprise hostile. Ils restèrent sur ce territoire jusqu’au jour où Abou Hammou le jeune, en l’an 760 et quelques, s’empara de la souveraineté sur les A’ïas, rois des Bani Ziane, que Abou l’Aâne avait déjà fort maltraités et les établit à Tessala. Les terrains de parcours de cette tribu arrivèrent jusqu’à Heidour, montagne d’Oran. Une portion des Hamayyan, branche des Bani Yazid, se fixa sur ce nouveau territoire, à El Hofra et dans les localités environnantes ; mais la plus grande partie qui, du reste, ne s’était pas jointe aux Bani Ameur, lors de leur première émigration, fut reléguée dans le désert, d’où elle n’a point bougé jusqu’à présent. Telle est l’histoire des Hamayyan, fils de Oqba Ibn A’bs Ibn Zoghba. Je tiens de personnes dignes de confiance, dépositaires des traditions du pays, que les Hamayyan ont donné naissance aux Majamed, établis à Haddad, aux Bani Korz, aux Bani Moussa, aux Merabaâ et aux Khachena, qui sont tous originaires des Bani Yazid. Les I’krima, fils d’A’bs, sont frères des Hamayyan. Le commandement appartint d’abord aux Oulad Lahek, puis passa aux mains des Oulad Maâfa, et enfin échut à la famille de Saâd Ibn Malek, descendant de Mahdi Ibn Yazid Ibn A’bs Ibn Zoghba. Cette famille prétend que son fondateur est Mahdi Ibn Abderrahman Ibn Abou Bekr Es Siddiq. Mais cette origine qu’elle s’attribue est combattue par cette considération que le commandement aurait ainsi appartenu à une maison étrangère aux tribus, ce qui n’est pas admissible. C’est là d’ailleurs l’opinion d’Ibn Khaldoun dont on peut consulter l’histoire pour de plus amples détails. Mais les Hamayyan actuels se donnent une autre origine. Il circule à ce sujet une légende qu’ils se sont transmis de génération en génération et que presque tous leurs caïds connaissent les récits qu’ils en font ne diffèrent que par l’abondance des détails : A une date qu’ils ne peuvent préciser, mais antérieure à la domination turque, les Hauts Plateaux étaient occupés par quelques familles des Bani Ameur. Cette région, pays de la faim et de la soif, était d’ailleurs peu habitée. Un nommé Sidi Maâmar ben Alia, frère d’un marabout de Tunis, quitta cette ville et s’établit à Arbaouat, où il fut enterré. Il avait emmené avec lui deux esclaves noirs, Rezine et Akram ; un troisième naquit en route, qui reçut, pour cette raison, le nom de Ziad. Sidi Maâmar laissa un fils, Sidi Aïssa, qui mourut à quatre vingts ans ; sa descendance fut la suivante : Boulila ould Aïssa, Bel Lahia ould Boulila, Bousmaha ould Bel Lahia et Si Slimane ben Bousmaha, dont la tombe est à Bani Ounif. Une tente, vers la même époque, vint s’installer dans la région des Chotts ; son chef s’appelait Ahmed et était originaire de Marrakech. Son fils resta à El Kheïther et c’est son petit-fils, Khalifa, qui donna son nom à la tribu des Ouled Sidi Khalifa. Quelques – uns vinrent à Méchéria et construisirent un ksar ( près des sources de la pépinière du génie). D’autres gens arrivèrent de tous les côtés et se réunirent à l’une ou à l’autre de ces familles ; ceux qui se joignirent à Rezine s’appelèrent Rezaïna ; Akram donna naissance aux Akerma; ceux, enfin, qui reconnurent comme chef Ziad, devinrent les Ouled Ziad. Si Slimane Bousmaha, de son côté, eut deux fils : Si Mohammed ben Slimane, enterré à Chellala et Si Ahmed ben Mejdoub. Toutes ces tentes, au bout de quelques temps, furent assez fortes pour permettre aux nouveaux émigrés de chasser, sous la conduite de Si Ahmed ben Mejdoub, les Bani Ameur. Ceux-ci, après avoir bouché tous les puits qu’ils avaient creusés, se réunirent à Aïn Mecif d’où ils gagnèrent en une journée, dit-on, Tessala. Si Ahmed ben Mejdoub, inhumé d’abord à Asla, fut déterré par les gens de Chellala, qui placèrent sa tombe à côté de celle de son frère où elle est encore vénérée. Son fils, Mohammed Sidi Cheikh, est l’ancêtre des Oulad Sidi Cheikh. Quant aux Bani Ameur, ils étendirent leurs terrains de parcours jusque dans le Tell.(2) Un seul Bani Ameur, nommé Bekkar, resta dans le pays ; il avait une grande fortune, de nombreux troupeaux et plusieurs femmes ; il se fixa près du Chott el Gharbi et son hospitalité fut bientôt connue. Aussitôt des nomades vinrent à lui et, pour se les attacher, Bekkar donna à quelques - uns ses filles en mariage. Toutes ces familles formèrent la grande tribu des Bekakra. Les douars qui la composent ont conservé leurs noms ; ce sont : les Oulad Salem, dont l’ancêtre habitait Oujda ; les Moualek, originaires de Seqia el Hamra (littoral atlantique sud marocain) ; les Daâmcha, du Gourara ; les Rezazga, issus de deux indigènes de Marrakech, Ali et Rezzoug; les Oulad Rahma; les Aouissat, fils d’Aouiss, de la tribu des Ghenanma de l’Oued Ghriss ( près de Mascara) ; les Rouabah, branche des Oulad Sidi Khalifa ; enfin, les Meharrat, qui habitent le Tell ».(3) D’après cette version, ce serait à tort que l’on considèrent les Hamayyan comme issus d’une même souche. Les éléments primitifs auraient été au contraire d’origines très diverses et des causes différentes auraient poussé tous ces groupes à converger en une même contrée; les uns n’auraient fait que suivre leur chef, qui redoutait l’expiation d’un méfait dont il était coupable ; les autres auraient cherché à échapper à la rapacité de leurs maîtres; d’autres, enfin, gens de sac et de corde, n’auraient eu d’autre but que d’ouvrir un champ plus vaste à leur esprit de rapine et d’aventure, ou de trouver des terrains de parcours plus étendus pour leurs troupeaux. (Nous verrons, au chapitre IV, d’une façon plus détaillée, les différentes origines des tribus.). Une troisième version très intéressante, s’appuyant également en partie sur Ibn Khaldoun, donne, pour l’origine des Hamayyan, l’arbre généalogique suivant, que nous reproduisons intégralement. Arbre généalogique des Z O G H B A Zoghba ------------------------------ ------------------------------------------------------ Bani Aïssa Bani Hocine Bani Malek ------------------------- -------------------------------- -------------------- Akerma Bani Yazid Bani Khirech Bani Jendel Bani Ameur --------------------------------------- -------------------------------- ------------ Bani Jaouad-Bani Mahdi-Bani Ogba Bani Mohammad el Hamel Soueïed -------------------- ------------- --------------------- Hamayyan Jemba Bani Modfir Mejaber-Jouta-Flitta ------------------- ------------ Oulad Messaoud Bani Salima -------------------------------- Bani Ghatir-Chafaâ-Bani Malef --------------------------------------------- Bani M’tarraf-Bani Chikara-Oulad Mansourah Elle se complète par la documentation ci-après, trouvée dans un manuscrit détenu actuellement par un taleb de Saïda : « Les Chafaâ portent le nom de leur premier ancêtre qui est Chafaâ ben Ameur. Les Jemba (ce mot signifie côte) sont ainsi nommés parce que, depuis leur venue dans le pays, ils étaient toujours à côté des Bani Ameur. Ils ne se séparaient jamais d’eux, les suivaient partout où ils allaient. On compare les Chafaâ à un chameau, dont les Jemba seraient les côtes. Autrefois, la tribu des Bani Ameur, ainsi que celle des Hamayyan, se trouvaient dans le Sahara ; elles changèrent de campement et allèrent s’installer dans les environs d’El Abiodh. A ce moment, elles étaient commandées par Abou Hammou Lakhdar, un des rois des Bani Ziane. Le roi de Tlemcen envoya la tribu des Bani Ameur à Tessala (endroit qu’ils occupent encore aujourd’hui), en l’année 762 de l’ère hégirienne. Dans le Sahara, qui est encore occupé par les Hamayyan, restait une partie des Bani Ameur et des Hamayyan, tandis que l’autre partie des deux tribus était allée à Tessala. C’est ainsi que ceux des Bani Ameur qui étaient restés furent appelés Chafaâ, tandis que les Hamayyan furent appelés Jemaâ. Les Bani M’tarraf seuls et ceux qui se rattachent à eux sont de véritables Chafaâ. Ils sont originaires des Bani Ameur et non pas des Hamayyan. Ils comprennent les Oulad Chafaâ ben Ameur auxquels remontent l’origine de la tribu et celle des Ameur ben Zoghba ben Ali Rabia ben Nahik ben Hellal. Les Akerma ont une origine différente et ne sont pas des Chafaâ. Les campements des Zoghba se sont étendus dans les plaines, depuis Béjaïa jusqu’à Oujda. Ceux qui comprenaient les Hamayyan Chafaâ se trouvaient à l’Est du pays de Béjaïa. A l’Ouest de cette région (de Béjaïa) se trouvaient les tentes des Bani Yazid. Quant aux Jemba, aux Sendan, aux Akerma, ce sont eux qui sont les Hamayyan. Ils ont tous trois le même ancêtre, qui est ben Oqba ben Yazid ben Aïssa ben Zoghba. L’ancêtre qu’ils ont de commun avec les Bani Ameur est ben Ali Rabia ben Nahik ben Hellal. Les Akerma sont donc les frères des Jemba et des Senden, mais ils n’appartiennent pas aux Chafaâ. Avant leur arrivée dans le pays de Béjaïa, les Hamayyan étaient en guerre contre leurs voisins les Riah. Ces derniers invoquèrent le secours des Bani Ameur et avec eux vainquirent les Hamayyan, qui furent frappés d’une contribution de guerre annuelle de 1000 gharas d’orge. A la suite de cela, les Hamayyan quittèrent le pays, irrités les uns contre les autres par suite de leur défaite ». Enfin, une quatrième version, venue du Sud, donne les renseignements suivants : « Les Hamayyan se composaient des tribus suivantes : - - Arabes Moucha ; Hamayyan Chafaâ ; A l’origine, les Sebabha, les M’gan et les - Hamayyan Jemaâ ; - Trafi ; - Oulad Jérir. Leur nom vient de la racine «Hamya», qui veut dire protection, concours ou appui. Ce sont des étrangers qui sont venus d’un peu partout. Les Moucha sont venus d’Orient, c’étaient des Jouad ( noblesse militaire). A cause d’une femme d’une rare beauté, une querelle eut lieu entre eux en Orient. A la suite de cette querelle, une violente bataille fut livrée. Les vaincus furent obligés de quitter le pays et vinrent se réfugier dans le Sud Oranais. Ils comprenaient : - Les Oulad Rahal ; - Les Oulad Embarek ; • Les Chaareb ( des Derraga actuels ) ; • Les Oulad Abdelkrim ; • Les M’gan ; • Les Rezna ( des Derraga ) ; • Les Guetali ( des Bani Metarraf actuels ) ; • Les Sebabha ( des Derraga Cheraga ) ; • Les Ameur Oulad Aliat ; • Les Oulad Jerir Oulad Bediar. Ils étaient issus des Zoghba. On les appela : Arabes Moucha.(4) Oulad Embarek formaient une seule tribu : les Oulad Embarek. Au sujet de leur dispersion actuelle, on donne deux versions : - On raconte que les causes de discorde qui les avaient fait fuir dans le Sud Oranais n’ayant pas cessé, ils se battaient très fréquemment. Un marabout, ayant vainement essayé de les réconcilier, les maudit, en s’exprimant de la manière suivante : Que Dieu disperse les gens de Moucha. Que chaque tente de leur tribu soit perdue dans une tribu étrangère. Que ceux auprès desquels ils se réfugieront les abandonnent à leur sort. C’est à la suite de cette malédiction qu’ils se livrèrent une nouvelle bataille et qu’ils se dispersèrent ensuite. - D’autres traditions rapportent que le marabout Sidi Slimane ben Bousmaha, des Oulad Sidi Cheikh, possédait une superbe chamelle blanche, très docile, qu’il aimait beaucoup. Cette chamelle, s’étant un jour égarée, aurait été trouvée par des gens des Arabes Moucha qui, sans respect pour son saint propriétaire, l’auraient tuée et mangée. A la suite de ce fait, Sidi Slimane ben Bousmaha aurait appelé, sur l’ensemble des Arabes Moucha, la colère divine et leur aurait lancé l’anathème suivant : Jaâltkoum, ta Arab Moucha, Vous deviendrez par moi, ô Arabes Moucha Fi koul douar, êucha, Une tente misérable par douar El arch elladhi teskounouh yercha La tribu que vous habitez s’effritera A la suite de cette malédiction, la dispersion des Arabes Moucha se serait produite. Certains tolbas disent que l’auteur de cette malédiction fut El Haj Abdelhakem, fils de Sidi Cheikh, et non pas Sidi Slimane Bousmaha. En ce qui concerne la séparation des Oulad Jérir et des Hamayyan actuels, la légende donne les renseignements suivants qui ont été racontés par l’agha Si Moulay, de Tiout : A l’origine, tous les Hamayyan actuels, tous les Trafi, les Oulad Jerir et les Arabes Moucha étaient compris sous la domination des Hamayyan. Ils nomadisaient ensemble, l’hiver dans le Sahara, le printemps au nord de la Chaîne saharienne, l’été dans le Tell, où ils allaient chercher leurs céréales, qu’ils mettaient ensuite en dépôt dans les ksours, lorsqu’ils y passaient, en effectuant leur migration d’hiver vers le désert. C’est en mars qu’ils quittaient le Sahara pour se diriger vers le nord et venir s’installer autour des points d’eau. Les uns passaient par Zoubia (Duveyrier) et campaient à Dermel, Jenien Bou Rezg et el Faïja ; les autres prenaient la route de la Gara Ghechena et s’établissaient à Aïn Sidi Brahim, à la Gara Ghechena, à Necissa, Ismaïl, Rouiba ; Ahmar Kheddel, Oued Semm. Ils se dispersaient ainsi auprès des puits et des sources. A une époque antérieure à Sidi Bousmaha ( 1370 ? 1450 ) existait chez les Oulad Jerir un homme du nom de « Badaoui », coureur d’aventures, brigand réputé et irrespectueux du bien d’autrui, qu’il appartint à des étrangers ou qu’il fût propriété de ses contribules. Ses rapines, longtemps impunies, devenaient insupportables à tous ; elles ne manquaient pas d’attirer les représailles des populations voisines. Les Hamayyan résolurent de prendre des mesures à l’encontre d’un personnage aussi encombrant. La saison était venue où allait s’effectuer l’exode annuel de la Confédération vers le nord. Selon l’usage, les représentants de chaque groupe devaient se réunir, tenir conseil et décider des détails de la migration. Il fut entendu que l’on prendrait prétexte de cette réunion coutumière pour discuter secrètement de la ligne de conduite à suivre envers Badaoui. Une gara s’élève près de Rouiba, sur la rive de l’oued opposée à celle où se trouve actuellement la gare du chemin de fer (ligne d’Aïn Sefra à Bani Ounif). On l’appelait autrefois « Garet Ismaïl ». Elle fut choisie comme lieu de rendez-vous, parce qu’elle occupait le centre des campements Hamayyan et que sa position isolée en faisait un point de concentration indiqué. Les sages des douars et fractions s’y réunirent et, après avoir réglé la question de la migration, décidèrent à mots couverts de mettre à mort le Jeriri et s’y engagèrent par un serment réciproque. En commémoration de cette réunion, un rejem fut élevé plus tard sur la Garet Ismaïl et prît le nom de Rejem el Maouaïid ( le Rejem des députations ). Mais, aussi bien que fût gardé le secret de la délibération, la nouvelle n’en fut pas moins apportée à Badaoui par ses enfants qui avaient fait partie du conseil et à qui l’on avait tenté de cacher par des euphémismes habiles, la décision prise contre leur père. Le vieux coupeur de routes vivait toujours un peu à l’écart de ses concitoyens ; l’isolement était nécessaire à la préparation et à l’exécution de ses coups de main: il était alors campé près de Sidi Brahim avec les Ouled Jerir. Sans attendre plus longtemps, il rassembla ses chameaux et ceux de ses enfants et, la nuit venue, s’enfuit avec sa famille vers Figuig. A la nouvelle de la disparition du fugitif, les Hamayyan prirent les armes, se ruèrent sur les Oulad Jerir demeurés à Sidi Brahim, les massacrèrent et pillèrent leurs troupeaux. Puis continuant leur course vers le Sud, ils rejoignirent Badaoui, au ksar de Zenaga (Figuig) et le mirent à mort. Les Oulad Jerir, parents de Badaoui, qui avaient échappé à la mort, se réfugièrent dans les environs de Béchar. Dans l’asile qu’ils avaient trouvé, les Oulad Jerir proscrits n’eurent plus qu’un but : tirer des Hamayyan une éclatante vengeance du meurtre de Badaoui et du massacre de leurs frères. Mais leur haine ne pouvait être satisfaite par leurs propres moyens, car leurs ennemis étaient forts ; il leur fallait des alliés. Par des députations, par des sacrifices d’animaux, ils obtinrent l’appui des tribus de l’Ouest et du Sud et les décidèrent à embrasser leur cause. Et, à une date fixée, les Doui Meniî, les Bani Guil Oulad Farès, les Ameur ( Bani Smir), les Bani Guil Bani Ghomracen, les Aït Atta, se rassemblèrent à Figuig en une seule harka, dirigée par les Oulad Jerir et tombèrent à l’improviste sur les Hamayyan : ce fut l’origine du Zegdou et sa première manifestation. Les Hamayyan, battus, pourchassés jusque sur l’Oued Zergoun, se dispersèrent pour échapper à leurs ennemis : les Trafi et les Hamayyan proprement dits formèrent dès lors deux collectivités distinctes. (5) De l’ensemble des légendes et des traditions que nous venons de rapporter, il y a lieu de chercher à établir d’une manière approximative, évidemment, mais cependant rationnelle, l’exode accompli par les Hamayyan depuis le moment où ils sont entrés en Ifriqya jusqu’à l’époque où ils sont arrivés dans le pays qu’ils occupent actuellement. Nous savons d’une façon précise que c’est en 1048 que l’invasion hilalienne pénétra en Tunisie. A cette date, les Zoghba, dont faisaient partie les Hamayyan, se trouvaient du côté de Tripoli ( d’après Ibn Khaldoun ). Nous savons aussi que ces mêmes Zoghba, venus vers Gabès, ont été ensuite dans le Sud des Aurès. Des probabilités permettent de croire qu’ils ont, vers 1150, habité sur l’Oued Atel près de Biskra. En 1259, Yaghmoracen, roi de Tlemcen, appelle les Bani Ameur à son secours et les oppose aux Makil. Avec les Bani Ameur, arrivent les Chafaâ. Les Jemba sont encore dans la région de Constantine. En 1313 - 1314, un marabout de Tolga, nommé Saâda, prétextant la réforme des mœurs et la stricte observance de la Sunna, se soulève contre le Sultan hafside de Tunis et est appuyé par le Sultan de Tlemcen, Abou Tachfin. Il n’en est pas moins battu par le gouverneur du M’zab, Ali ben Ahmed, émir des Douaouda. A partir de ce moment, sous des prétextes religieux voilant le plus souvent l’intérêt personnel, les marabouts, appuyés par les Arabes, ne cessent de se mêler aux mouvements politiques. La lutte continue entre les Zeiyanides et les Hafsides, c’est-à-dire entre Tlemcen et Tunis. Béjaïa reste le point autour duquel se rencontrent les ambitions et les convoitises. Les Arabes hilaliens, qui sont dans le pays, mais qui n’occupent pas encore les villes, prennent parti tantôt pour les uns, tantôt pour les autres, pillent, dévastent, violent et s’infiltrent de plus en plus dans la race berbère. Les Zoghba bien entendu, ne manquent aucune occasion de se livrer à tous ces actes répréhensibles. On en retrouve quelques - uns vers 1318-1319, qui soutiennent le rebelle Berhoum, lequel, révolté contre Abou Tachfin, s’était retranché à Toukal, dans l’Ouarshanis. Toukal est pris, Berhoum mis à mort, Abou Tachfin s’avance vers l’est, mais s’arrête devant Béjaïa, qu’il n’ose attaquer. En 1321, tous les Arabes de l’Ifriqya qui se trouvent dans le Sud et, parmi eux, encore des Zoghba, se soulèvent sous la conduite d’un chef almohade nommé Mohammad ben Ali Amran et entrent à Tunis. Les divisions et les révoltes qui doivent ruiner peu à peu la dynastie hafside continuent. D’autre part, les discordes entre les Mérinides et les Ziyanides viennent ajouter un élément de plus en plus aux troubles existants. Les influences maraboutiques se développent de plus en plus et viennent s’opposer aux diverses dominations. Enfin, en 1370, Abou el Abbès rétablit l’unité hafside à Tunis et reste seul maître de cet empire. Il s’occupe à faire rentrer dans la soumission les partis de l’ancien empire qui s’étaient détachés et il soumet successivement les tribus arabes dont l’orgueil était devenu insupportable. C’est à ce moment que les Jemba, Trafi et autres sont amenés dans le Sud Oranais par le marabout Si Maâmar Ould Slimane ben Afia qui s’installe aux Arbaouat et aura pour descendant le grand Sidi Cheikh. La légende raconte que Si Maâmar Ould Slimane ben Alia quitta la région de Tunis à la suite d’une discussion qu’il avait eue au sujet d’une pastèque. Il est beaucoup plus probable, et l’on peut admettre d’une façon à peu près certaine, que les motifs de son émigration sont dus au rétablissement du pouvoir d’Abou el Abbès et au mouvement de réaction qui se lit à cette époque contre les tribus arabes et les influences maraboutiques. Les Arabes Moucha semblent être arrivés avant les Jemba et les Trafi. Leur mouvement a dû s’opérer par le Sud, mais il a été impossible de pouvoir trouver aucun document les concernant. Cependant, si on écoute certaines histoires racontées par des marabouts, soit à Saheli (Guir), soit au Touat, on peut penser que cette fraction Hamayyan a formé un groupe séparé qui, lorsque les Zoghba évoluaient dans la région de Biskra, a suivi, vers 1187, une tribu Hilalienne toute différente, les Jochem, laquelle prit parti pour les Almoravides contre les Almohades et soutint la famille des Ben Ramia contre Abou Youcef Yacoub el Mançour. Les Ben Ramia ayant été vaincus, les Jochem auraient été refoulés vers l’Ouest et les Arabes Moucha vers le Guir et le Gourara. Les Jochem se divisaient en différents groupes, dont deux, les Sefian et les Kholt, devinrent ennemis et répandirent le désordre et la terreur dans tout le Sud marocain, prenant, suivant les occasions, parti soit pour les Almohades soit pour les prétendants marocains, mais étant sans cesse opposés les uns aux autres. Il finit par se former, dans tout le Sud du Sahara et dans tout le Sud marocain, deux partis : Celui des Sefian ; Celui des Kholt, qui prit le nom de Ihamed. Les Almohades et les Mérinides utilisèrent successivement ces deux partis. Actuellement encore, au Touat et au Gourara, on est, de naissance, soit des Sefian, soit des Ihamed. De nos jours, lorsque les Hamayyan vont aux oasis pour s’approvisionner en dattes, les Jemba sont du parti des Ihamed et les Chafaâ ainsi que les Rezaïna, de celui des Sefian. Vers 1835 et en 1848, certains de ces nomades prirent part à de terribles luttes qui éclatèrent au Touat, entre les deux partis qui, avant notre occupation, continuèrent sourdement à rivaliser entre eux, non seulement aux Oasis, mais même, dit-on, jusque dans le Sud tunisien. En résumé, tous ces groupes occupent, à partir de 1370, à peu près les emplacements où ils sont actuellement. Il y aura bien encore quelques mouvements qui amèneront des déplacements provisoires ; on retrouvera des Hamayyan vers Oran et vers Tessala avec les Bani Ameur. D’autres suivront les divers conquérants vers l’Ouest ou dans le Sud et reviendront plus tard sur les Hauts Plateaux Oranais. Il se produira, par suite, un mélange constant entre ces gens remuants et leurs voisins, si bien que, peu à peu, leur descendance primitive tendra à s’effacer et qu’une série de groupements hétéroclites, et même parfois chaotiques finiront par produire la race actuelle des Hamayyan. Revenons à l’arrivée de Sidi Maâmar ben Slimane ben Alia. C’était un descendant d’Abou Bekr Es Siddik, l’un des compagnons du Prophète, surnommé Abdel Kaâba, et l’un des plus respectés des Koreïchites. Ses descendants avaient été expulsés de la Mekka à la suite de désordres religieux dont ils avaient été les instigateurs. Après d’être dirigés vers l’Ouest et avoir habité l’Egypte pendant quelques années, ils se retrouvaient, dans le courant du XIIe siècle, en Tunisie, où ils jouissaient, de par leur origine, d’une grande considération et d’une influence religieuse très marquée. Turbulents et gênants, ils avaient été obligés, pour les raisons que nous avons indiquées plus haut, de continuer leur émigration vers l’Ouest pour venir s’installer dans la vallée de l’Oued el Gouteïta ( région d’El Bayadh ). Cette arrivée se produit à l’époque où le maraboutisme se développe dans toute l’Afrique du Nord d’une façon extraordinaire. Les marabouts viennent en général, de l’Ouest, de la Seqiat el Hamra. Sidi Maâmar Ould Slimane ben Alia vient en sens contraire. Comme les autres, il va faire souche de saints il fondera une immense tribu maraboutique qui représentera un pouvoir politique nouveau et une mission religieuse très active, qui voudra son indépendance et qui jettera souvent, dans les rivalités futures entre Chérifs et Turcs, puis contre nous son veto. Si Maâmar Ould Slimane Ibn Alia divisa en un certain nombre de groupes la clientèle considérable qui l’avait suivi et en confia l’administration à ses bouabs, tous d’origine noire. (On retrouve actuellement, entre autres chez les Oulad Sidi Cheikh, de semblables façons de procéder.). De là est née la légende, rapportée précédemment, des noirs Akerm et Rezin. En réalité, un groupe de Bou Bekria ou autres Jemba fut administré par un noir nommé Akram et prit le nom d’Akerma. Il en fut de même pour les Rezaïna. Si nous pouvons, avec des probabilités voisines des certitudes, suivre l’histoire des Jemba, nous nous heurtons, pour les Chafaâ, à des opinions d’ordres divers qu’il est difficile d’élucider. La version qui représente les Chafaâ comme étant des Ben Ameur me paraît la plus probable. Elle expliquerait d’une façon très nette le premier mouvement des Zoghba. Occupant d’abord la région actuelle du cercle de Méchéria, où ils auraient été jetés avec l’avant-garde de l’invasion hilalienne, les Bani Ameur auraient été heureux de profiter de l’appel qui était fait par Yaghmoracen pour quitter la dure région des Hauts Plateaux et aller s’installer dans le Tell. Refoulés plus tard, en partie, par les successeurs de Yaghmoracen dans les régions du Sud, ils seraient retournés d’où ils étaient venus et se seraient retrouvés à côté des Jemba, arrivés pendant leur absence. Cette explication de l’origine des Chafaâ et des Jemba nous semble pouvoir être admise. Quoiqu’il en soit, ses groupes ainsi constitués étaient loin de vivre en bonne intelligence. Il ne se passait pas de jour sans que l’un d’eux n’en razziât un autre, lequel profitait de toutes les bonnes circonstances que son ennemi lui offrait pour lui rendre la veille. Aussi tous ces gens étaient-ils toujours sur le qui-vive ; ils s’entouraient de précautions infinies et étaient souvent arrachés à leurs occupations par le « Tiberguent » ou le « Chaoula ». Les bons pâturages et les meilleurs points d’eau étaient, en conséquence, occupés par ceux-là seuls qui pouvaient s‘y maintenir. Les tribus des alentours ne tardèrent pas à souffrir de ce voisinage ; c’était tous les jours de nouvelles surprises qui les privaient d’une quantité considérable de troupeaux. Poussées à bout par les déprédations de ces Hamayyan, lassées de se voir impunément razziées, elles résolurent de se défaire de leurs ennemis et commencèrent à les traquer. Les futurs Hamayyan s’aperçurent qu’il en était fait d’eux, s’ils ne se groupaient pas de façon à résister à leurs ennemis. Cette idée de groupement se propageait parmi cette multitude dans ces termes : « hammini, nehmmik ( réchauffe-moi, je te réchaufferai ; ou, protège-moi, je te protègerai ). Il se réunirent donc et furent ainsi connus, dit-on, sous le nom de Hamayyan ( gens qui se soutiennent ) ; c’est là, d’après eux, l’origine du nom qu’ils ont conservé. A quelque temps de là, les Hamayyan se divisèrent en Cheraga et en Gheraba, en raison de l’extension qu’ils avaient pris. Après cette scission, les querelles cessèrent momentanément entre les Hamayyan Gheraba. Forts de leur supériorité numérique, ils s’attaquèrent à tout ce qui était plus faible qu’eux et se vengèrent des défaites qu’ils avaient précédemment subies. Ils eurent aussi avec les Trafi des luttes sanglantes, dont le motif fut la possession de Ang el jemel et du point d’eau d’Echebour, actuellement réclamé par les Oulad Sidi Khalifa ; les Hamayyan le gardèrent. Plus tard, ils eurent encore à lutter contre les tentatives des Bani Mathar pour les points d’eau du Chott Chergui ; une convention passée entre les deux tribus décida que ce point d’eau de Chaïb serait commun aux belligérants et que la limite passerait par le milieu du Chott laissant aux Hamayyan les points d’eau du Sud, dont Echebour. L’accord se rétablit entre les Hamayyan Cheraga et les Hamayyan Gheraba jusqu’au moment où une question religieuse vint les séparer définitivement. Quoique issus d’un même groupement, les Hamayyan n’étaient pas tous serviteurs des mêmes Marabouts. Ceux de l’Ouest obéissent aux Oulad Sidi Abdel Hakem, de la branche cadette des Oulad Sidi Cheikh, tandis que ceux de l’Est étaient serviteurs des Oulad Sidi El Haj Bouhafs de la branche aînée des Oulad Sidi Cheikh ; ces divergences les firent en venir aux mains. Les campements des Gheraba se trouvaient, à l’époque dont nous parlons, à Touajeur. Sûrs d’être battus s’ils combattaient seuls, les Cheraga soudoyèrent les Ahrar, les Jaâfra, les Hassasna, les Bani Mathar, les Angad et les Oulad En Nhar. Toutes ces tribus se concentrèrent à Hassi El Hadri, au Nord de Tismouline, et vinrent tomber à l’improviste sur les Gheraba. Après un combat meurtrier, où les Oulad Serour et les Bani M’tarraf surtout éprouvèrent des pertes considérables, les Cheraga et leurs alliés furent complètement défaits et se laissèrent pendre plusieurs «attatich », dans l’un desquels se trouvait la femme Rqeïa qui, dit-on fut gardée pendant plusieurs jours sans manger ni boire. (Anciennement, en effet, les tribus du Sud amenaient des femmes montées sur des chameaux dans des palanquins. Elles se tenaient sur les derrières; leur rôle consistait à ranimer le courage des combattants et à arrêter les fuyards en les accablant d’injures ). Après cette défaite, la paix rétablie entre les deux tribus ne dura pas longtemps. Excités par les marabouts et jaloux de venger un tel insuccès, les Cheraga tombèrent une seconde fois sur les Gheraba installés à Khebbaza. Ils furent encore défaits et se laissèrent prendre quarante attatich. La concorde devenue désormais impossible, les Gheraba et les Cheraga se séparèrent ; les premiers conservèrent le nom de Hamayyan et se subdivisèrent en Chafaâ et en Jemba; les seconds adoptèrent la dénomination de Trafi (à cause de leur position à l’extrémité ou «Tarf » de la province ), d’Oulad Ziad et de Rezaïna. Leurs rancunes ne cessèrent que lorsqu’il leur fallut lutter ensemble contre les Turcs. Les limites approximatives des terrains de parcours des Hamayyan paraissent avoir été, à cette époque, les suivantes : - à l’Est, le pays des Ahrar et le Jebel Amour ; au Nord, le pays des Bani Mathar ( Ras el Aïn ) et la partie Sud de la plaine de Tafrata ; à l’Ouest, la Oulad Messaoud Oulad Ahmed Ghiatra Chafaâ et Jemba avaient suivi jusqu’à ce moment la même fortune et ils sembaient devoir être Algérien en raison des terrains de parcours qu’ils avaient choisis il ne pouvait plus être question, à cette époque, de leurs origines Moulouya et le Guir ; du côté Sud, la limite était des plus imprécise. C H A P I T R E I I L A D O M I N A T I O N T U R Q U E Pendant que ces querelles intestines divisaient les Hamayyan, tout changeait en Berbérie. Les Turcs étaient apparus en Ifriqiya ; les Espagnols occupaient une grande partie des côtes. C’est l’époque où, selon l’expression du chroniqueur, « la liberté des Berbères descend au sépulcre pour jamais ». A Tlemcen, régnaient les derniers Ziyanides ; en 1512, cette cité envoya en Espagne son hommage de vassalité ; elle fut contrainte alors de fournir des vivres aux garnisons espagnoles. Mais si la province d’Oran dut subir tour à tour la domination des Espagn Des espions signalaient au Makhzen ols, des Turcs, des Sultans Marocains, les Hauts Plateaux restèrent généralement à l’abri de ces vicissitudes. Les Sultans Marocains firent sans doute quelques razzias dans ces régions ; mais les nomades se vengèrent en pillant, à plusieurs reprises, leur convoi et les assaillant toutes les fois qu’ils battaient en retraite. Certaines fractions Hamayyan furent les alliés des Espagnols. La chronique du Cheikh ben Merzouk raconte qu’à la suite de la tentative infructueuse que fit Ibrahim Pacha, pour enlever Oran aux Espagnols, ceux-ci construisirent la forteresse du Murjajo et s’ingénièrent à la rendre inexpugnable ; comme il était très difficile de se procurer l’eau nécessaire, le Cheikh des Hamayyan leur en apporta dans des outres. « Ce fait, ajoute le chroniqueur, doit être pour le musulman un objet constant d’étonnement : Dieu est insondable dans ses moyens. » Il est aussi narré que le Commandant des troupes espagnoles occupant Oran préparait une sortie contre les gens d’Abou Mehdi Cheikh Sidi Aïssa et l’auteur arabe écrit : « Ce duc était capitaine des chrétiens à Oran. Les deux plaines qu’il allait ravager sont Sirat et les contrées contiguës de Meleta et d’El K’a, dépendant du territoire de Soueïd. Le duc armait contre nous les armées des chrétiens et leurs alliés, les Hamayyan, les Kiza, Chafaâ et autres méprisables arabes. Et ces alliés, ô croyants, étaient des tribus musulmanes. » Ces Hamayyan étaient ceux qui avaient suivi les Bani Ameur. Ceux restés dans le Sud n’étaient pas moins hostiles aux Turcs qui leur inspiraient une crainte justifiée. S'ils échappèrent d’une façon générale à leur autorité, ils eurent à leur payer à différentes reprises de lourds impôts et ils n’ont pas oublié les procédés qu’ils employaient pour les percevoir. l’emplacement des douars et celui-ci, aussitôt renseigné, opérait de fructueux coups de main. Les M’ghaoulia ont conservé le souvenir de celui dont ils furent victimes à El Agueur, du temps du bey Caghly. Ayant trouvé que l’impôt réclamé était exagéré, ils refusèrent de le payer ; les Turcs les attaquèrent et les M’ghaoulia, repoussés, durent se replier par le col du Chameau (entre Méchéria et El Agueur). Le passage était trop étroit pour permettre l’écoulement des troupeaux ; la moitié resta entre les mains des agresseurs et, dans la lutte, 42 M’ghaoulia furent tués ; les autres s’enfuirent sur Tiout et Aïn Sefra. Outre les contributions qu’ils venaient lever eux-mêmes sur les tribus, les Turcs leur réclamaient un impôt de capitulation, appelé « gherama ou lezma », toutes les fois qu’ils venaient faire leur approvisionnement en grains dans le Tell. Aussi les Hamayyan profitèrent-ils des luttes entre les Turcs et les Sultans de l’Ouest pour prendre parti pour ces derniers toutes les fois que l’occasion s’en présenta. L’action très limitée des Turcs sur les populations des Hauts Plateaux n’empêcha pas, en effet, les Marocains de venir guerroyer à deux reprises dans cette région. En 1647, le chérif saâdien Moulay Mohammad chercha à étendre son autorité vers l’Est. Il pénétra chez les Angad et entra à Oujda; continuant sa marche, il tomba sur les Bani Ameur, les razzia et les contraignit à chercher un refuge auprès des Espagnols d’Oran. Il fit du butin dans la campagne de Tlemcen et, l’hiver terminé, il arriva sur les Hauts Plateaux, au Sud Est de Saïda. Ses succès frappèrent l’imagination des tribus sahariennes, en excitant leur cupidité, et éveillèrent en elles le désir de tirer vengeance d’anciennes querelles. Mahmoud, Cheikh des Hamayyan, vint apporter au chérif la soumission de cette grande tribu et ses voisins, les Mehaya et les Dakala, l’imitèrent. Disposant ainsi de nombreux contingents de cavaliers, Moulay Mohammad envahit le Tell de la province d’Oran, et s’avança ensuite jusqu’à Laghaouat et à Aïn Madhi, mettant toutes ces contrées au pillage. Une armée turque fut envoyée d’Alger contre lui. Pour y échapper, il se décida à prendre le chemin de Sijilmaça. Il partagea donc le produit des rapines entre ses alliés et donna rendez- vous aux Arabes pour le printemps suivant dans les plaines d’Angad. Les Turcs arrivés à Tlemcen y furent très mal reçus ; la population leur reprocha de n’avoir pas su les défendre contre les attaques du chérif. Ne s’étant procuré sa nourriture qu’au prix des plus grands difficultés, l’armée rentra fort mécontente à Alger, sans avoir pu recouvrer le moindre impôt. Moulay Mohammad ne put d’ailleurs mettre, l’année suivante, ses projets à exécution ; le 1er juillet 1649, battu par Mohammad El Haj, il fut obligé de lui abandonner sa capitale. Trente ans après, les Marocains reparaissaient sur les Hauts Plateaux et trouvaient chez les tribus le même accueil ; Moulay Ismaïl avait réorganisé les forces militaires du Maghreb ; il avait constitué avec des noirs une force solide et bien instruite ; sur les routes et aux points stratégiques, il avait placé des garnisons et construit des forteresses. Après avoir pacifié le Souss, il se transporta dans les régions sahariennes de la Haute Moulouya ; son armée s’y grossit des contingents indigènes, en particulier des Hamayyan, des Amour ,des Bani Ameur. Guidé par eux, il s’avança jusqu’au Jebel Amour. Mais une colonie turque avait suivi son mouvement et s’était établie sur la rive droite du Chélif, pour lui disputer le passage au lieu dit Gouïa. Lorsque les deux armées se trouvèrent en présence, elles s’observèrent d’abord ; dès que la nuit fut venue, les Turcs avec un grand renfort de cris et en frappant des tambours, ouvrirent le feu de leur artillerie sur le camp du chérif. Ces détonations répandir la terreur parmi les Arabes qui connaissaient à peine le mousquet et ils prirent la fuite en abandonnant le Sultan du Maroc. La défection des Arabes entraîna l’échec de l’expédition. Moulay Ismaïl jura de ne jamais compter sur eux et de leur faire payer chèrement leur trahison. Réduit à ses troupes régulières, il fut obligé d’accepter la paix qui lui était imposée. Trois ans après, il trouvait l’occasion de razzier les Bani Ameur. Les Arabes, à leur tour, se mirent à la poursuite de son armée, quand elle fut obligée de se replier, après avoir essayé vainement de prendre Oran aux Espagnols ( 1693 ). Ces expéditions furent vaines et ne laissèrent aucune trace durable. Si les chérifs les entreprirent ; ce fut surtout pour donner satisfaction à leur désir de conquête et aussi pour répondre aux vœux des populations de ces contrées, qui supportaient difficilement le joug des Turcs. Mais leur domination ne fut jamais qu’éphémère ; elle disparaissait dès qu’ils s’étaient éloignés ; à peine le Sultan parti, nomades et ksouriens reprenaient leur antique indépendance. Pendant cette période, les Oulad Sidi Khalifa allèrent fixer définitivement dans la région d’El Kheïther et se divisèrent en Gheraba et en Cheraga ; ces derniers bâtirent le ksar de Sidi Khalifa, où ils vivaient d’aumônes. L’un d’eux, nommé Embarek, s’étant brouillé avec ses frères, vint, vers 1771 à Echbour avec quelques fidèles ; ils y construisirent quelques gourbis qu’ils abandonnèrent sept ans après pour retourner à Sidi Khalifa. Le point d’eau d’Echbour resta toujours la propriété des Hamayyan. C H A P I T R E I I I LE XIX SIECLE JUSQU’ AU TRAITE DE 1845 Les terrains de parcours des Hamayyan Au début du XIX siècle, les Hamayyan menaient l’existence nomade dans toute l’acceptation du terme ; mais la zone dans laquelle ils vivaient , offrait à leurs troupeaux des pâturages si peu abondants, qu’ils étaient obligés de transhumer fréquemment ; selon la saison, ils occupaient telle ou telle partie de leurs terrains de parcours. C’est ainsi qu’ils estivaient soit à Ras el Ma, Taerziza ou El Aricha, soit à Tiouli ou dans la vallée de l’Oued el Haïj, soit encore à Mérija et Haouaciat Edhiab. En un mot, ils occupaient celui des points précités où il y avait de bons pâturages ou qui se trouvait le plus à proximité de la région où le cours des grains était le plus bas. Aux premiers jours de l’automne, approvisionnés en orge et en blé, ils levaient le camp et, s’ils étaient à Ras el Ma, ils allaient au Chott Echergui ( Bouguern ) ; s’ils étaient à Taerziza, El Aricha ou Tiouli, ils se rendaient à El Beïda, Oglat En Naâja, El Morra et Oglat Moussa, dans le Chott el Gharbi ; s’ils étaient près de l’Oued el Haïej, Mérija ou Hassiyan Edhiab, ils allaient les uns à El Mengoub, les autres au Chott Tigri, Mazar et Oglat Moussa. A la fin de la dernière saison, chaque groupe transhumait et s’acheminait par petites étapes et par un itinéraire différent vers le Sud ; les Hamayyan du Chott Tigri suivaient la vallée de l’Oued el Hallouf et passaient par Ich et Figuig, où ils ensilaient une partie de leurs grains ; ceux du Chott el Gharbi se dirigeaient sur Aïn Séfra, Tiout, Moghrar Tahtani et Sfissifa, en passant par Aïn ben Khelil ou Gaâloul. A l’instar des premiers, ils confiaient une partie de leurs grains aux ksouriens. Au début de l’hiver, ils se retrouvaient ainsi tous à Kheneg En Namous, point désigné pour la concentration générale et, de là, ils prenaient la direction du Gourara et du Touat, en descendant la vallée de l’Oued En Namous. S’étant ravitaillés en dattes dans les diverses oasis, ils remontaient vers le Nord, reprenant dans les ksours tout ou partie de leurs grains, et confiaient à leurs gardiens habituels la quantité de dattes conservés comme réserve pour l’année suivante. Dès leur arrivée dans la région des ksours «si le vent de paix soufflait», ils se séparaient; dans la négative, après avoir suivi ensemble, la vallée de l’Oued el Hallouf jusqu’à Jenan el Adham, ils se répandaient dans les vallées des oueds Boularjem et Boukhalkhal et s’installaient pour passer le printemps dans la région qui a pour centre le Jebel Antar. Durant de nombreuses années, les Hamayyan menèrent ce genre de vie et rien ne fut sensiblement modifié aux grandes lignes de leurs parcours périodiques. Momentanément, des querelles intestines vinrent mettre un terme à cet état de choses ; à la suite de coups de feu échangés entre différents çoffs, la scission entre les Jemba et Chafaâ s’accentua et même certaines familles des Oulad Serour et des Akerma se séparèrent. Quant aux Rezaïna, originaires de Bou Semghoun, leurs parcours s’étendirent, de Chellala, vers le Nord, jusqu’à Sfid ; ils étaient les clients et les serviteurs religieux des Oulad Sidi Cheikh, dont le marabout avait sa tombe à El Abiodh. Sur tous ces nomades, une seule autorité existait : celle des marabouts. Grâce à leur influence religieuse, bientôt jointe à leur influence politique, les marabouts représentent en réalité le seul pouvoir organisé, dans ce pays livré à l’anarchie. Ce sont eux qui, dans la lutte qui va opposer les cheurfa aux Turcs, mettront les Hamayyan, ou tout au moins certaines de leurs fractions, au service de causes différentes. Nous trouverons ces derniers s’inféodant, suivant les nécessités du moment, à telle ou telle confrérie religieuse et leurs actes leur seront inspirés par des raisons sociales que, seule, l’autorité maraboutique aura entrevues. Dans cet ordre d’idées, les Oulad Sidi Cheikh devaient évidemment imposer, tout au moins aux Jemba, leur autorité. Lorsque mourut Si ben Dine, qui avait succédé à Si El Haj Bouhafs, de la branche cadette, la baraka fut transmise à Si El Arbi. (Rappelons, en passant, qu’après Sidi Cheikh, ses descendants s’étaient divisés en deux parties, celui de Si El Haj Bouhafs, chef de la branche aînée, et de celui de Si El Haj Abdelhakem, chef de la branche cadette.). Les descendants de Si El Haj Abdelhakem, jaloux des prérogatives attribuées à la branche aînée, réclamèrent leur part des revenus perçus annuellement par celle-ci. Leurs prétentions n’ayant pas été admises, le chef des Oulad Abdelhakem, Si Slimane ben Kaddour, âgé de 19 ans, résolut de trancher le différent par les armes. Il gagna à sa cause les Hamayyan et marcha à leur tête contre les Oulad El Haj Bouhafs, dont il razzia les troupeaux sur l’Oued Seggueur. Si Larbi répondit par une autre razzia faite sur l’Oued Gharbi. Ces deux coups de main furent le point de départ de la scission qui, désormais, allait séparer les Oulad Sidi Cheikh en deux groupes à jamais irréconciliables. Après une série de combats indécis, mais dans lesquels l’avantage resta finalement aux Gheraba, qui étaient soutenus par les Hamayyan, Si Larbi leur céda la moitié des revenus de la zaouia des Oulad Sidi Cheikh. Si Slimane ben Kaddour fonda alors, dans le ksar Gharbi, la zaouia de Si El Haj Abdelhakem. Les Oulad Sidi Cheikh Cheraga se prétendirent lésés par la construction de cette zaouia. De nouvelles luttes s’engagèrent entre les deux branches et, finalement, une troisième zaouia, consacrée à El Haj Bouhafs, fut créée. En 1766, un accord finit par se faire et en convint que les offrandes seraient partagées en trois parts égales dont chacune serait affectée à chaque zaouia. Mais, comme la zaouia principale de Sidi Cheikh et celle de Si El Haj Bouhafs se trouvaient à côté l’une de l’autre, dans le ksar Chergui, il en résulta que les Oulad Sidi Cheikh Cheraga eurent en réalité, deux parts et les Oulad Sidi Cheikh Gheraba une seule. Ce fait amena des rivalités et des compétitions d’intérêt qui existent encore de nos jours. La principale et presque unique raison qui poussa les Hamayyan à s’inféoder, à cette époque, aux Oulad Sidi Cheikh Gheraba, se trouve dans l’offre de razias constantes que leur fit entrevoir Si Slimane ben Kaddour. Environ quarante ans plus tard, nous retrouvons les Hamayyan Chafaâ se mettant au service d’une autre force maraboutique, les Derkaoua. Vers 1794, Moulay Slimane commença à régner au Maroc. Des marabouts attachés au parti des Turcs d’Alger, les Khelouatia, avaient fait leur apparition dans l’Atlas et suscités des mouvements populaires qui donnèrent certaines craintes au Sultan, lequel, pour y remédier, les expulsa. Désireux de se mettre en garde contre eux et ambitionnant aussi de s’agrandir vers l’Est, Moulay Slimane entra, d’une part, en relations avec le bey de Mascara, Mohammad el Kabir, et, en même temps, échangea une correspondance suivie avec le Chérif des Derkaoua, Mohammad el Arbi, ennemi juré des Turcs, qu’il opposa aux Khelouatia. Pendant quelques années, Moulay Slimane envoya des groupes et perçut l’impôt dans la région des Bani Znassen sur Oujda, sans qu’aucune difficulté vint à se produire entre lui et le bey de Mascara. Subitement, en 1805, à l’appel d’un marabout des Derkaoua, nommé Abdelkader ben Chérif, des révoltes contre les Turcs éclatèrent de tous côtés dans la région de l’Ouest de la Régence d’Alger. En même temps, les Kabyles des Babors se révoltèrent à leur tour à l’instigation d’un chérif marocain, El Haj Mohammad ben El Arach, surnommé Boudali. Le bey de Mascara qui avait succédé à Mohammad el Kabir, El Haj Mustapha, ne put résister au soulèvement des Derkaoua, commandés par Ben Chérif. Il fut battu à Fortassa. Son camp fut pris et pillé, il se retira sur Mascara en toute hâte, l’évacua et alla se retrancher à Oran. Ben Chérif profita de cette faute pour s’emparer de Mascara et en faire son quartier général. Il lança ensuite des proclamations dans toutes les tribus, les appelant à la Guerre Sainte contre les Turcs, menaçant celles qui résisteraient. Les Hamayyan Chafaâ se rendirent à cet appel. Les relations constantes qu’ils avaient avec les gens de Tlemcen, où ils trouvaient à s’approvisionner en majeure partie de grain, les avaient mis à même de suivre le mouvement qui se préparait depuis déjà longtemps. On leur avait raconté que le bey de Mascara, El Haj Khelil, prédécesseur de Mohammad el Kabir, avait persécuté les marabouts hostiles aux Turcs dans la région de Tlemcen et que le marabout derkaoui, Mohammad ben Ali, avait lutté contre lui et avait réussi, par ses incantations à leur faire foudroyer. D’autres part, les Tijania, qui régnaient en maîtres sur les Hauts Plateaux, n’avaient pas été non plus épargnés par les Turcs et poussaient les tribus nomades du Sud à se soulever contre ces derniers. Enfin en sous-main, le Sultan du Maroc, Moulay Slimane, entretenait des relations avec les insurgés. L’insurrection fomentée par les Derkaoua gagna de plus en plus du terrain : tout le pays était en révolte depuis la frontière marocaine jusqu’à l’Oued Chlef. Le bey Mustapha, assiégé dans Oran, sollicita du Sultan Moulay Slimane son intervention auprès des insurgés. A cette nouvelle, le dey d’Alger destitua El Haj Mustafa et le remplaça par un Coulougli nommé Mohammad Meqallech, rude homme de guerre, qui battit Ben Chérif dans différentes rencontres, souleva contre lui toutes les tribus maghzen et, à la suite d’un coup de main heureux, reprit la ville de Mascara. Ben Chérif se retrancha dans la zaouia de Mohammad ben Aouda. Attaqué par le bey Mohammad Meqallech, il subit une défaite écrasante et dut s’enfuir dans la région de la Yacoubia ( Sud de Saïda ). Pendant ce temps, à Tlemcen, la population excitée par les Bani Ameur, avait fait cause commune avec les Derkaoua, avait prêté serment de fidélité au Sultan du Maroc et assiégeait la garnison turque qui était enfermée dans le Méchouar. Meqallech reprit Tlemcen après avoir livré aux Derkaoua une grande bataille à l’Oued el Aâhad. Lorsque le Sultan Moulay Slimane apprit le succès des Turcs, il jugea inutile de soutenir les Tlemceniens et s’employa à les réconcilier avec le bey de Mascara, pendant que les Bani Ameur révoltés s’enfuyaient au Maroc. Quoiqu’il se fût entouré exclusivement de Derkaoua et qu’il ne cessât pas d’entretenir une correspondance suivie avec le chérif derkaoui, Mohammad El Arbi, le Sultan Moulay Slimane jugea plus profitable de cesser de s’occuper de la lutte entreprise par la confrérie contre les Turcs et profita des embarras suscités à ces derniers pour partir faire la conquête de Figuig (1805), qu’il devait compléter trois ans plus tard par celle du Gourara et du Touat. Ces pays furent contre les Turcs, un foyer d’intrigues, et le refuge de tous les agitateurs des divers pays de l’Afrique du Nord. Quoique n’ayant plus à compter que sur eux-mêmes, les Derkaoua n’abandonnèrent cependant pas la lutte. Une grande bataille se livra au sud de Mascara, dans la plaine d’El Ghriss ; les Turcs y furent vainqueurs. Une autre, livrée à Jdiouïa, également malheureuse pour les Derkaoua, les obligea à se réfugier vers l’Ouest. Le chef derkaoui, Ben el Arach, qui s’était joint à Ben Chérif, fut rejoint par le bey sur les bords de la Tafna et fut tué au cours du combat qui se livra à cet endroit. Poursuivis, les Derkaoua furent écrasés de nouveau à Teuta. A ce moment, le dey d’Alger, trouvant que le bey de Mascara, Mohammad Maqallech, devenait trop puissant, le fit arrêter et étrangler. El Haj Mustafa, qui avait été son prédécesseur malheureux, le remplaça. C’était un homme trop faible et trop peu énergique pour pouvoir lutter contre l’insurrection. Les Derkaoua, qui jadis lui avaient enlevé Mascara, reprirent l’avantage et le dey d’Alger fut obligé de destituer de nouveau El Haj Mustafa et de mettre à sa place le bey Bou Kabous ( 1808 ). Avec ce dernier, les Turcs reprirent à leur tour l’avantage et les Derkaoua furent poursuivis sans relâche. Ben Chérif, qui avait trouvé asile du côté de la Yacoubia, dont les marabouts avaient pris parti pour lui, en fut chassé par le bey qui le rejeta au sud du Chott Chergui. Ne trouvant pas d’appui chez les Oulad Sidi Cheikh, il en chercha un chez les Tijania et se rendit à Aïn Madhi. Mais, voyant un rival en lui, les marabouts Tijania lui refusèrent leur aide et Ben Chérif dut repartir vers l’Ouest et se réfugier chez les Bani Znassen. Le gendre de Ben Chérif, Bou Terfas, continua la lutte et se révolta à son tour, entraînant derrière lui les Trara. Il fut battu par le bey Bou Kabous, mais, au retour de cette expédition, la colonne turque fut décimée par la neige et rentra en désordre à Tlemcen, après avoir abandonné en route la plupart de ses bagages. A la suite de cette expédition, il se passa un fait difficile à expliquer. Le Bey Boukabous s’affilia secrètement aux Derkaoua, pactisa avec le Sultan Moulay Slimane et, lorsque le dey d’Alger voulut l’envoyer dans l’Est contre le Bey de Tunis, qui venait de se révolter, refusa de marcher. Un caïd de la région de Tlemcen, nommé Ali Karabaghli, prit parti pour les Turcs, s’enferma dans Nédroma et résista aux insurgés. Le dey d’Alger envoya Omar Agha pour rétablir l’autorité turque. Celui-ci aidé par Ali Karabaghli, s’empara du bey Bou Kabous venu à Oran pour s’approvisionner, et le fit décapiter. Ali Karabaghli fut nommé bey et la paix fut maintenu, par la terreur, pendant quelque temps dans toute l’Oranie. En 1816, le Derkaoui Ben Chérif reparu, souleva une partie des nomades du Sud et les Ahrar, marcha de nouveau contre les Turcs, fut encore battu et se retira définitivement à Figuig. Les nomades du Sud qui avaient suivi sa fortune et, parmi eux, les Hamayyan Chafaâ, voyant baisser le prestige des marabouts derkaoua, cessèrent de prendre part à la lutte. Les Tijania, dont l’influence sur les Hauts Plateaux était aussi considérable que celle des Derkaoua dans le Nord, n’avaient pas été mieux traités par les Turcs. Le grand marabout d’Aïn Madhi, Tijani, avait été chassé par le bey Mohammad el Kabir de sa zaouia, puis de Boussemghoun où il s’était réfugié. Obligé de fuir au Maroc, il avait été très bien accueilli par le Sultan Moulay Slimane qui lui avait donné à Fès un de ses palais pour y fonder une zaouia. Le marabout était décédé dans cette zaouia en 1814. Les deux fils de Tijani, revenu à Aïn Madhi, à la mort de leur père, étendirent rapidement leur influence dans les ksours du Sud Oranais. Les Turcs ne tardèrent pas à prendre ombrage de ce nouveau pouvoir. Le bey de Mascara, Hacen, successeur d’Ali Karabaghli, fit tuer tous les moqadem de cet ordre qu’il put surprendre, puis marcha sur Aïn Madhi. Il subit un échec et dut revenir vers le Tell. Deux ans plus tard, le bey du Titteri, Bou Mezraq, échoua lui aussi, devant la zaouia. Les Tijania attaquèrent alors à leur tour les Turcs et firent des incursions dans le Sud Oranais. En 1826, les Hachem se révoltèrent et appelèrent Tijani à leur tête. Celui- ci, après avoir essayé, en vain, de s’emparer de Mascara, fut battu par le bey d’Oran et tué. Les Tijania abandonnèrent la lutte, mais ne furent pas poursuivis par les Turcs. Si nous avons cru devoir insister sur ces très importants mouvements maraboutiques qui, quoique certaines fractions des Hamayyan y aient été mêlées, sortent de l’histoire particulière de cette confédération, c’est que les faits qui ont été racontés indiquent, d’une façon très précise, la manière dont furent gouvernés les nomades du Sud avant l’occupation française. Deux pouvoirs rivaux se sont constitués : celui des Chérifs et celui des Turcs d’Alger. Ces deux pouvoirs durent leur fortune à une réaction religieuse contre les victoires des Chrétiens qui avaient chassé les Musulmans d’Ibérie, et contre les entreprises des Portugais et des Espagnols sur les côtes de l’Afrique du Nord. Ils ne purent s’établir que grâce à l’influence des confréries et des marabouts. Les Turcs et les Chérifs étaient fatalement appelés à entrer en lutte les uns contre les autres. Les Turcs représentaient les Sultans de Stamboul ; les Chérifs, issus de la famille du Prophète, représentaient, pour les populations de l’Afrique du Nord, un gouvernement constitué d’après les traditions les plus pures de l’Islam. Les tribus arabes et les tribus berbères, jamais bien assises les unes à côté des autres, favorisèrent tantôt l’un, tantôt l’autre des partis. Les tendances des populations nomades, chez qui le refus de l’impôt a toujours été considéré comme le plus sacré des devoirs, visaient à l’indépendance absolue. Seule l’influence maraboutique fut capable d’enrayer l’anarchie. C’est pourquoi les sultans marocains envoyèent dans tout le Sud Oranais des marabouts, agent des zaouia de Fès, pour exciter partout les populations contre les Turcs et fomenter des révoltes. Les beys ne purent recouvrer les impôts dans ces régions qu’à condition d’aller les chercher avec de fortes colonnes militaires. Enfin, obligés de faire face de tous les côtés attaqués par Tunis à l’Est, par les Espagnols à Oran, par les Kabyles au centre, les Turcs durent abandonner à peu près entièrement le Sud et se contenter de chercher, dans la grande famille des Oulad Sidi Cheikh, un appui contre les autres influences chérifiennes ou maraboutiques. Les sultans marocains ne manquèrent pas, à plusieurs reprises, de profiter de cette situation embarrassée de leurs rivaux pour faire des incursions sur les Hauts plateaux oranais, dans les Ksours et aux Oasis. Ils opposèrent, d’autre part, clandestinement, marabouts contre marabouts ; ils furent les soutiens des Derkaoua dans le Nord et ceux des Tijania dans le Sud. Ils firent aussi appel à l’ambition des grandes familles locales, leur délivrant des cachets et des diplômes, leur promettant des charges importantes futures. Les nomades du Sud en profitèrent pour refuser le paiement de l’impôt à tout pouvoir constitué en dehors de celui des marabouts. A l’égard des Turcs, ces populations se déclarèrent marocaines; à l’égard du sultan de Fès, elles se prétendaient sur le territoire Turc. Nous retrouvâmes les mêmes procédés au début de la conquête française principalement chez les Hamayyan. Lorsque El Haj Abdelkader parut dans la province d’Oran, les Hamayyan en parcouraient la partie méridionale, depuis les régions de Tlemcen et de Debdou, jusqu’au Tafilalet et au Touat. Leurs points d’eau étaient à peu près les suivants : Tendrara Gharbia, Oglat Cedra, Foum Bezouz, tous ceux des Chotts Gharbi, Chergui et Tigri, d’Aïn Chaïr, d’Aïn el Oraq. De nombreux Hamayyan possédaient des propriétés à Bou Anane, El Hajoui, au Medaghra et à Figuig. Après le traité de 1832, Abdelkader organisa son Etat ; les tribus Hamayyan reçurent des caïds, chefs politiques et militaires nommés par l’Emir. C’est ainsi que Mebkhout Ould Ahmed commanda aux Oulad Mansourah, Demmouche Ould Abd Allah, aux Oulad Khélif, Ahmed ben Abd Allah, aux Akerma, Bousmaha ben Maâchou, aux Bani M’tarref, Miloud Ould Laïrej, aux Meghaoulia, Mohammad ben Dif Allah, aux Oulad Toumi et Mohammad ben Amara, père de l’agha honoraire El Haj Kaddour, aux Bekakra. Il y a lieu de signaler l’influence dont jouissait déjà, à cette époque, Mebkhout, dont on fit plus tard un agha. « C’était lui qui était chargé de négocier d’abord avec les Turcs, ensuite avec les Français ; mais, une fois rentré dans sa tribu, il devenait simple particulier et il n’exerçait une réelle influence que dans sa fraction. » (Lettre de la Division d’Oran, 11 octobre 1869). Dans la guerre incessante qu’il engagea contre nos troupes, l’Emir trouva dans les Hamayyan de précieux auxiliaires ; ils durent, cependant, l’abandonner momentanément pour se défendre contre les troupes du Sultan du Maroc. Lorsque, poursuivi par les colonnes françaises, Abdelkader se décida à se rapprocher du Maroc, sa défaite au combat de l’Oued Melah (11 novembre 1843) réduisit ses troupes à quelques centaines de cavaliers ; avec eux, il se jeta en désespéré sur les Hamayyan, les surprit et fit sur ces derniers un butin considérable, qui lui permit de pourvoir pour un moment aux besoins des siens. Il profita alors de la proximité du Maroc pour renouer des relations avec le sultan Abderrahmane. Sa smala, considérablement diminuée, prit le nom de « Deïra » (du mot douar) ; il s’installa près d’Aïn ben Khélil et obligea les Hamayyan à lui fournir des contingents qu’il lança sur les tribus des EL Aghouat et sur les Oulad Ziad Gheraba, qui perdirent dans cette affaire leur chef, Ahmed ben Ameur. En 1844, le général Lamoricière établit un camp permanent à Saïda et un autre à Sebdou ; un poste fut créé à Tiaret. Abdelkader voulut reprendre la lutte ; ne trouvant pas d’éléments suffisants dans le Sud Oranais, il se rendit au Maroc et parvint, sous un prétexte religieux, à entraîner le Sultan contre nous. Mais, après le bombardement de Mogador, Abderrahmane abandonna la cause de l’Emir en signant le traité de Tanger ; une clause mettait Abdelkader hors la loi dans tout le Maroc et en Algérie. Chassé du Maroc, Abdelkader se réfugia chez les Bani Guil. Le 30 janvier 1845, un de ses jiouch faillit enlever en plein jour le poste de Sidi bel Abbès, et le général Lamoricière, pour protéger la vallée de la Mekkara, dut établir un camp permanent à Daïa. Le mois suivant, l’Emir passait en personne au nord du Chott El Gharbi, ralliant en route les tribus des Hauts Plateaux ; il marchait dans la direction de la vallée supérieure du Chélif. Mais il trouva le chemin fermé par les colonnes Cavaignac dans le Sud de Tlemcen, Lamoricière dans le Sud de Mascara et Géry dans la région saharienne ; il lui fallut reprendre la route de la Deïra sans avoir pu tenter le moindre raid. Dans les années qui suivirent, bien qu’il sentit sa cause compromise, il continua la guerre de partisans, à laquelle il était réduit depuis le désaveu qu’il avait reçu du Sultan du Maroc, jusqu’au jour où il dut se rendre au duc d’Aumale. Nous hésitions encore à aborder ces régions ; c’était pour nous le seuil du désert, où, croyions-nous, nos troupes ne pouvaient s’aventurer sans de grandes difficultés et où les Turcs, nos prédécesseurs, n’avaient fait que passer. On se contenta d’imposer les troupeaux ; c’est ainsi que dans une lettre en date du 10 janvier 1845, le général Lamoricière, commandant la Division d’Oran, rendit compte que « l’agha Tayeb ben Guernia avait été envoyé avec une centaine de chameaux chez les Hamayyan Cheraga et Gheraba, pour faire acte d’autorité sur eux en réclamant le paiement de l’impôt zakat .». On s’explique dès lors pourquoi le traité signé le 18 mars 1845 détermina si défavorablement pour nous, comme nous le verrons, le sort des Hamayyan. Note complémentaire sur les légendes anciennes relatives aux Hamayyan Si Mohammad Ould Maâmar ben Dahou, caïd du ksar de Moghrar Tahtani, a composé un intéressant travail encore inédit sur les origines et l’histoire de son ksar. Nous en avons extrait, à titre de curiosité, les quelques passages ci-dessous qui se rapportent aux origines générales et aux relations des Hamayyan avec les gens de l’extrême Sud : Dans les temps anciens, il existait dans le Sahara des populations diverses. Elles étaient réparties à Figuig et ses environs, à Moghrar, Boussemghoun et le Sahara et habitaient soit dans les montagnes ou les vallées, soit dans les hamada ou les espaces désertiques. Ces peuples avaient des mœurs distinctes en ce qui concerne l’alimentation et l’habitation. Ils étaient païens, n’avaient point de livres saints ; nul prophète ne leur avait exposé de doctrine. Les uns portaient le nom de « Romains », d’autres étaient les « Majouss » ou adorateurs du feu. Ils avaient coutume de construire leur maison de telle sorte que l’individu, lorsqu’il se trouvait dépourvu de vivres, pouvait s’ensevelir sous les ruines de sa demeure. Les Majous pratiquaient une forme d’union incestueuse; ils épousaient leurs filles ; le frère et la sœur se mariaient ensemble. Ils étaient vêtus de peaux de bêtes et de plumes d’oiseaux ; les pauvres, parmi eux, se couvraient de feuilles d’alfa et de drinn tressées. Leur nourriture consistait en gros gibier et en nebeg ( baie de jujubier sauvage : cedra ). Ils faisaient une huile avec le gueddim et leur pain était à base de farine de drinn. Ils apprêtaient aussi les herbes qui, à cette époque, grâce à la fréquence des pluies, étaient très abondantes. Ces peuples vivaient entièrement séparés les uns des autres, n’ayant aucun rapport, et n’exerçant, les uns vis-à-vis des autres, aucune violence. Ils n’avaient point de souverain ou de chefs ; et nulle oppression, nulle iniquité ne s’appesantissaient sur eux. Préoccupés uniquement de leur subsistance, chacun d’eux recueillait, suivant les époques, les baies, les graines ou les herbes qui formaient la base de leur alimentation. Leur boisson leur était fournie par l’eau des sources et non pas par l’eau des ghedir. Ces autochtones étaient de très grande taille ; par contre, leurs femmes étaient minces et courtes. Elles avaient les cheveux abondants et les yeux bleus. Elles se couvraient de fourrures ou de peaux de renard, de chacal de hyène et de lièvre. Elles préparaient une trame de drinn et d’alfa sont les hommes se revêtaient. On raconte que ces peuples furent décimés par un cataclysme. Cependant, une partie de leurs descendants survécut et habita le pays qui devint désert après leur disparition. Alors arrivèrent les Chleuh, tribu de Berbères Zouaoua et Ibadites. Puis ceux-ci furent subjugués par des Arabes des Bani Hilal, Bani Hachem, Koreïchites, Haoumia, Bani Mekhzouni, qui, depuis Tunis, courbèrent sous leur loi les Berbères. Ces derniers fuyaient devant les envahisseurs qui, parvenus aux monts du Gharb, s’installèrent dans le Tell et le Sahara, convertissant à la Foi, par le fer et le feu, tous les indigènes qu’ils rencontraient. Certains Berbères purent gagner Figuig. Le pays compris entre le Guir et l’Oued Segueur était alors occupé par les Arabes Bani Ameur. C’est au IV siècle de l’Hégire que les Arabes pénétrèrent en Ifriqya et se répandirent de Tunis à Fès et Marrakech, luttant contre les Berbères Zouaoua et Ibadites qui sont tous des Chleuh et qui furent chassés des monts et des plaines. La contrée qui forme actuellement les cercles de Méchéria, d’Aïn Sefra, de Figuig et d’El Bayadh était le pays des Bani Ameur qui y pratiquaient la culture et y prospéraient. Au VI siècle, ces Bani Ameur émigrèrent vers le Tell, du côté de l’Oued Melghir, de Sidi Bel Abbès, de Sfisef et du Jebel Filouin. Une partie d’entre eux, cependant, les Hamayyan, restèrent dans la contrée qu’ils peuplèrent. D’après ce que nous avons appris ( et Dieu sait mieux que nous toutes choses ), la descendance des hérétiques s’est perpétuée à Figuig ; on dit que des descendants des Romains se trouvent à Ksar el Abid de Figuig ; il y aurait aussi des Ibadites, ainsi qu’à Chellala Dahrania. Certains Romains vivaient sous la tente comme les Arabes. Ils possédaient des éléphants qui leur servaient pour leurs transports et leurs migrations et ils avaient un très grand nombre de ces pachydermes dont la vente leur procurait des ressources considérables. Ils avaient aussi des bœufs et des moutons ; ces derniers étaient, comme les mouflons dépourvus de laine ; on les nommait « Jirafya ». Ils avaient sur le sommet de la tête deux cornes branchues. Ces animaux donnaient du lait comme les vaches. Les peuples précités se servaient, pour leurs échanges, de disques de poudre d’or ; chacune de ces pièces de monnaie équivalait à cent douros (sersterce ?). Ils fondaient le minerai d’or sur du fer rougi et utilisait le précieux métal pour faire des bijoux. Les noms des « Romains » et ceux des « Païens » étaient les mêmes. Leurs demeures et leurs tombeaux ont été désignés sous le nom de « Arjem ; Ajdar ; Kerkour ». Cest une même désignation qui s’est conservée jusqu’à nos jours. Lorsque, dans l’ancien temps, certains individus entreprirent des fouilles dans le pays, ils découvrirent des cadavres sous l’amas de matériaux qui les recouvraient. Ces cadavres étaient revêtus de leurs vêtements et de leurs ornements d’or et d’argent ; à leurs côtés leurs armes. Les kerkours sont construits comme des maisons, au moyen de pierres superposées en cercle. A l’intérieur, ainsi que nous l’avons dit, on découvre des squelettes des cendres et du bois, des ustensiles de cuisine brisés. Lorsque les décombres recouvrent des ossements féminins, on voit autour des os des bras et des jambes, des bracelets d’argent ou d’or, de corne, de bois de laurier. Les kholkhals (bracelets de cheville) sont aussi en un métal usé, jaune comme le cuivre. Tout cela est détérioré, sans aucune valeur et inutisable, sauf l’or qui, dégagé de sa gangue, a un éclat analogue à la lueur d’un feu dans la nuit. Les Arabes de nos tribus se désintéressent de ce genre de fouilles. Ceux d’entre eux qui, d’aventure, ont fait de nos jours des recherches dans quelques uns des moments funéraires sus-mentionnés, n’y ont plus rien trouvé ». Après avoir exposé comment furent créés, dans une région fréquentée en hiver par les Hamayyan, le ksar et l’oasis de Moghrar, le caïd Si Mohammad Ould Maâmar ben Dahou raconte ce qui suit : « Les tribus Hamayyan, qui étaient venues dans le pays, trouvèrent l’Oued Moghrar habité. Les habitants de la nouvelle aglomération offrirent une dhifa aux notables Hamayyan. Ceux-ci se montrèrent très satisfaits de voir le pays peuplé et invitèrent à leur tour les habitants, leurs enfants, leurs serviteurs noirs et toutes les personnes qui se trouvaient avec eux, à une dhifa dans le campement. Ce fut l’origine de l’amitié des deux collectivités. Elles échangèrent le serment de former une alliance étroite et de se prêter mutuellement main-forte en toutes les circonstances. Par suite de cet accord, les Hamayyan creusèrent des silos chez leurs amis. Chaque année, lorsqu’ils rentraient du Sahara, vers le Nord, ils entreposaient chez ces ksouriens, dans leurs silos, de la laine, du beurre. Quand ils effectuaient une marche inverse, c’est-à-dire redescendaient du Tell dans le Sahara, ils déposaient entre les mains des gens de Moghrar leur blé et leur orge. Ces derniers trouvaient ainsi chez leurs alliés la facilité d’acheter les céréales nécessaires à leur substance et à l’ensemencement de leurs champs. D’autre part, ils avaient coutume d’acheter, aux tribus nomades, des chameaux qu’ils confiaient aux Hamayyan pour les faire pâturer ou aller sur les marchés lointains et s’approvisionner en grains. Chaque année, les chameaux des deux groupes amis se rendaient à Figuig, sous la conduite des Hamayyan, et rapporter des dattes et des rejets de palmiers. Ces rejets étaient plantés à Moghrar; les noyaux des dattes consommées étaient semés. Le sol étant propice, la palmeraie se développa rapidement. Le nombre de la population s’accrut aussi, car plusieurs des occupants attirèrent auprès d’eux nombre de leurs amis. On compta bientôt 30 maisons. Les habitants de Moghrar étaient braves et généreux. Ils donnaient aussi largement l’hospitalité qu’ils combattaient sans répit les iniquités. Par leur vaillance, ils avaient rendu puissante leur petite cité. Ils ne se permettaient aucune déprédation quand un rapt d’animaux était commis, ils n’avaient de cesse qu’ils eussent atteint et tué les malfaiteurs. Ils rentraient en possession de tous les animaux qui leur étaient volés. ». Dans les premiers jours d’avril, lorsque les Hamayyan quittaient le Sahara et remontaient vers le Nord, ces vastes steppes demeuraient absolument désertes jusqu’en octobre, c’est-à-dire pendant la période des chaleurs. Dans cette solitude que personne ne venait troubler, les autruches se multipliaient et formaient de nombreux troupeaux. Tout troupeau comprenait environ une cinquantaine de têtes, mâles, femelles, autruchons. Les habitants de l’Oued Moghrar se livraient à la chasse de ces coureurs et durant toute la saison chaude, ils y trouvaient leur vie ; ils se nourrissaient de la chair des oiseaux tués, vendaient leurs plumes, et, de leur graisse, préparaient une huile qu’ils appelaient « zham » et qui avait la propriété de guérir les maux de quiconque l’absorbait. En outre, l’antilope bubale abondait ; on en trouvait des troupeaux aussi nombreux que les troupeaux de moutons. De même, la gazelle, l’antilope addax et l’onagre. Aussi, la chasse fournissait - elle la viande nécssaire aux repas matin et soir. Enfin, les abeilles étaient en grande quantité et le miel était aussi abondant que l’eau. Les gens de Moghrar étaient seuls à le récolter, comme ils étaient seuls à chasser. Dans de pareilles conditions d’existence, ils n’étaient jamais malades ; la chair des animaux sauvages, l’huile « zham » et le miel les préservaient de tous les maux ; la mort de vieillesse venait seule les surprendre. A l’abri de la maladie et du souci, ils atteignaient les limites extrêmes de la vie humaine ; ils vivaient plus d’un siècle. ». «Quelques années après la mort de Sidi Cheikh, quand les «Zegdou» se sont rendus dans l’Est pour se venger des Hamayyan et des Trafi, ces Zegdou sont passés par Moghrar Tahtani, où ils ont enlevé tous les moutons et les chameaux et où ils ont massacré un grand nombre d’habitants. Les Zegdou ont eu eux-mêmes plus de cent hommes tués. Le siège de Moghrar par les Zegdou a duré huit jours. Pendant ce siège, les habitants de Moghrar ont creusé dans leurs maisons des silos dans lesquels ils ont placé leurs céréales et leurs objets mobiliers, puis, profitant d’une nuit sombre, ils se sont tous, hommes, femmes et enfants, enfuis dans le Jebel Mekter, à Aïn Anba. Le lendemain matin, tous les Zegdou, cavaliers et piétons, sont entrés dans le ksar et n’ont rien trouvé. Ils ont détruit quelques maisons et ont abandonné ensuite Moghrar. Les ksouriens sont rentrés chez eux et ont reconstruit les maisons démolies. Les Zegdou recommençaient cette attaque tous les ans ; aussi les habitants de Moghrar envoyaient-ils à Figuig un âssas (sentinelle), chargé de signaler la harka à Figuig. Au signal de l’âssas, les habitants de Moghrar enfermaient leurs biens dans les silos et s’enfuyaient dans le Jebel Mekter, à Aïn Anba. Pendant quatre années consécutives, les Zegdou ont entièrement détruit les récoltes de Moghrar. Les ksouriens découragés, ont alors envoyé chez les Oulad Sidi Cheikh une jamaâ chargée de les faire réconcilier avec les Zegdou. Les Oulad Sidi Cheikh se sont rendus à cheval auprès des notables du Zegdou, dans l’Oued Guir, et leur ont dit : Les habitants de Moghrar Tahtani vous demandent la paix ; ces gens sont les amis de notre père Sidi Cheikh, qui leur a donné une saguia et qui leur a imploré le ciel de leur accorder ses faveurs ; ne leur faites donc pas de mal, car nous-mêmes nous subissons le préjudice que vous leur causez. Les Zegdou ont répondu : Moghrar est un ksar Hamayyan. Les Hamayyan nous ont tué du monde et se sont enfuis sans verser la diya ; ce sont donc nos ennemis. Mais puisque vous intervenez en leur faveur, nous leur accordons le pardon. Ils n’auront pas à s’enfuir loin de nous, car nous ne leur ferons aucun mal. Nous agirons ainsi par considération pour votre père Sidi Cheikh. La paix a alors régné chez les habitants de Moghrar. Ceux-ci, voyant qu’ils étaient l’objet d’attaques continuelles de la part des gens de l’Ouest, ont demandé à tous ceux qui voulaient les entendre de venir habiter à Moghrar Tahtani, où une maison, une parcelle de terre et de l’eau leur seraient données par la jamaâ. Moghrar s’est ainsi peuplé et il y eut 60 maisons. Moghrar a, dès lors, pu se défendre contre ses ennemis, la vie y est devenue facile et le gibier, tel que l’autruche, y a existé jusqu’à ces dernières années (20 ans). Si Mohammad Ould Maâmar ben Dahou conte ensuite, au cours de son récit, le fait suivant qui, sans intéresser directement l’histoire des Hamayyan, met en cause les Arabes Moucha. A l’époque des Zegdou, un malfaiteur du Gharb, nommé Bahara, vint, se disant Sultan. Il était accompagné de Beraber et de gens des Zegdou, formant ainsi une forte harka, composée de deux milles cavaliers et trois mille piétons. Lorsqu’il arriva à Figuig, où il séjourna pendant dix jours, il ordonna aux habitants de nourrir la harka durant son séjour. Les Figuiguiens obéirent. Ce prétendant écrivit ensuite à toutes les tribus et à tous les ksours la lettre suivante : Venez au devant de moi avec votre soumission et des cadeaux ; dans le cas contraire, je me verrais obligé de m’emparer de vos biens, de détruire vos habitations et de vous combattre. Lorsque les gens de Sidi Brahim Grich et ceux des ksours de Kheneg Namous reçurent cette lettre, ils s’enfuirent à Moghrar Tahtani pour s’entendre avec les gens de ce ksar, soit pour offrir un cadeau, soit pour résister. En arrivant au ksar Sidi Brahim Grich, le prétendant constata que ce ksar était abandonné ; il apprit également à ce moment là que les ksours de Kheneg Namous étaient déserts. Un indigène nommé Mohammad ben Ziane, des Oulad Sidi Cheikh, qui se trouvait alors à Moghrar Tahtani, monta sur sa jument et alla à la rencontre du prétendant, qu’il trouva entre Sidi Brahim Grich et Moghrar Tahtani. Mohammad ben Ziane descendit de cheval, salua le prétendant et lui dit : Je viens du ksar de Moghrar Tahtani pour faire du bien. Bahara lui répondit : quel est le cadeau que vous nous faites. Mohammad ben Ziane reprit : Le cadeau sera une prière ou une malédiction ; si vous leur donnez la paix, vous serez dans le bien et si vous n’acceptez pas ma demande, Dieu vous maudira. Bahara, après avoir entendu ces paroles, regarda les palmiers et se jeta dans le pays. Les gens de Moghrar, prêts à se défendre, entourèrent le ksar autour duquel se trouvait un rempart et un fossé ; la poudre parla, 5 hommes et 20 montures du goum de Bahara furent tués ; ce goum s’éloigna alors et envoya des vedettes dans l’Oued Semm et l’Oued Semar, mais Bahara entra dans une grande colère lorsque, en descendant de son cheval, il apprit la perte des 5 hommes et des 20 chevaux. Si Mohammad ben Ziane monta à cheval et se réfugia chez les Oulad Sidi Cheikh et les Arabes Moucha, campés à Ghanjia, et les mit aussitôt au courant de ce qui s’était passsé. Bahara leva alors tous les piétons et cavaliers qu’il put saver et se lança sur le ksar ; la poudre parla jusqu’au moment où les munitions manquèrent aux gens de Moghrar, qui furent obligés de renvoyer les femmes, les enfants et les impotents. Seuls, les hommes valides restèrent pour garder les postes. Mohammad ben Ziane activa alors le courage de ses gens et des Arabes Moucha auxquels il ordonna d’aller immédiatement au secours de Moghrar. Cavaliers et piétons se mirent en route, après avoir envoyé leurs tentes et leurs troupeaux dans le Jebel Chemarikh. Cent hommes furent chargés de garder le chemin de Bourdodo, tandis que la harka se dirigeait sur Moghrar, où se trouvait Bahara. Ils marchèrent toute la nuit et s’emparèrent des vedettes de Bahara qui surveillaient l’Oued Som. Bahara attaqua avec ses guerriers le ksar de Moghrar où le feu éclata. Les défenseurs du ksar se battirent jusqu’au moment où les munitions manquèrent. Les fantassins de Bahara démolirent la porte du ksar et les remparts, mais pendant ce temps Mohammad ben Ziane tomba avec sa harka sur le camp des aggresseurs, s’empara des chameaux et tua les gens qui gardaient les tentes. Un cavalier vint prévenir Bahara que les gens chargés de la garde du campement avaient été surpris par des guerriers courageux. Bahara se rendit immédiatement sur les lieux et des coups de feu furent échangés. Après un combat acharné qui dura une demi heure, la harka de Bahara fut mise en déroute et poursuivie dans sa retraite par les Oulad Sidi Cheikh et les cavaliers Arabes Moucha, jusqu’à Figuig. Bahara fut tué à Bagdad de Figuig, par Ben Mekkaoua, aïeul des Oulad Rejal (ou Rahal). Ce dernier monta sur la monture blanche de Bahara, lequel fut décapité et brûlé. Les poètes chantèrent « la jument de Bahara fut ramenée par les nobles et Bahara fut vaincu par des cavaliers intrépides, les Oulad Boubekker ; leur sang coula dans les rivières et aucun cavaliers n’échappa, tous furent massacrés. ». A leur retour de Figuig, les cavaliers constatèrent que les tentes, les troupeaux, les armes et les provisions avaient été rassemblés et partagés par les piétons. » Dans le courant du mois d’avril, de la soixantième année du IXe siècle, un orage de grêle, dont les grêlons furent de la grosseur de la tête d’un chameau, éclata et détruisit les jardins, les maisons, le barrage et les animaux. Les autruches qui se trouvaient dans le pays furent tuées. Le gibier n’est revenu qu’après de nombreuses années. A la suite de cette orage, une grande misère régna à Moghrar ; la grêle tomba depuis le Jebel Hamir jusqu’au Jebel Mekter, à Chemarikh et à l’Ouest de Dermel. Les gens de Moghrar se rendirent auprès des Hamayyan, qui se trouvaient dans le Sahara et qui n’avaient pas été touchés par cet orage, et leur demandèrent des moutons et du grain, qu’ils achèteraient. Les Hamayyan leur donnèrent à boire et à manger. Les gens de Moghrar furent poussés par la misère à couper les routes ; ils restèrent bientôt seuls, car les Hamayyan remontèrent vers le Nord. A la suite de cet orage, de nombreux pâturages apparurent chez eux ; tandis que les Doui Meniî et les Oulad Jerir en furent dépourvus. Ces derniers étaient campés dans l’Oued Guir, à Béchar, dans la Zousfana. Les cavaliers provenant de ces tribus, partis vers l’Ouest pour enlever des chameaux, s’aperçurent, en passant dans l’Oued Semm, que les pâturages y étaient abondants ; aussi, en arivant chez eux, ils le dirent à leur gens qui décampèrent pour se rendre dans l’oued de Moghrar, où ils arrivèrent au moment de la récolte des dattes et des fruits. Les Doui Meniî enlevèrent nuitamment toutes les dattes et tous les fruits qu’ils trouvèrent à Moghrar et s’installèrent à Garet el Ghechoua, dans l’Oued Salem, et à Ghouba. Un soir, trois notables de Moghrar se rendirent auprès du sage des Doui Meniî, égorgèrent un mouton et lui racontèrent ce qui s’était passé ; ce sage avait chez lui un tambour en cuivre sur lequel il frappait pour rassembler ses gens. Le sage, en apprenant ces faits, se mit en colère et fit battre le tambour. Tous ses gens se réunirent et lui dirent : « ô notre Cheikh Bou Anane, que s’est-il passé ? ». Le sage qui s’appelait alors Cheikh Bou Anane, leur déclara : Ce ksar est faible et ses habitants sont très nombreux ; nous avions l’intention, en venant camper près d’eux, de leur apporter la paix et la tranquillité, et vous leur avez causé un dommage en dévastant leurs jardins. Actuellement, les gens de Moghrar sont dans l’attente et je désire que vous les dédomagiez. Les Doui Meniî se confermèrent à cet ordre, après avoir déclaré qu’ils se trouvaient avec les Oulad Jerir, les Bani Oumara et les douar des Oulad Belguiz, quand les dégâts furent commis. Il leur ordonna de faire verser, par chacune des tentes précitées, un chameau ou dix moutons, de les lui amener et de lui signaler les gens qui refuseraient. L’ordre fut exécuté : 200 chameaux et 600 moutons furent remis aux notables de la jamaâ de Moghrar et 50 chameaux et 150 moutons furent distribués aux notables des Doui Meniî ; le reste fut conservé par Bou Anane. Les gens de Moghrar invitèrent Bou Anane à déjeuner chez eux ; celui-ci monta à cheval avec ses enfants et des notables (en tout 60 cavaliers) et se rendit à Moghrar. Là, 20 moutons furent égorgés, soit un mouton pour trois cavaliers, et on leur servit plusieurs plats. Ils jugèrent bon de vivre en bonne intelligence avec les gens du ksar. Les moutons et les chameaux furent partagés entre les gens de Moghrar. Dès que les Doui Meniî apprirent le retour des Hamayyan dans le Sahara, ils décampèrent et se rendirent dans l’Oued Zousfana. Pendant le printemps de la dixième année du XI siècle, les Bani Ghomracen, les Bani Goumi et les ksouriens d’Aïn Chaïr formèrent une harka qui se dirigea vers l’Oued Namous. Les tribus Hamayyan et les Oulad Sidi Cheikh s’enfuirent dès qu’ils apprirent l’arrivée de cette harka et se rendirent dans l’Oued Seggueur. Cette harka, à laquelle s’étaient joints les Bani Zeggou et les Aït Iafelman (Beraber), ne trouva absolument rien dans l’Oued Namous ; elle ne rencontra qu’un seul individu des Moucha, qui recherchait un âne. Interrogé, ce dernier déclara que les tribus étaient rassemblées dans l’Oued Seggeur. La harka se rendit à Moghrar Tahtani et Moghrar Fouqani, où elle enleva tous les animaux, chameaux, bœufs, moutons et fit périr de nombreuses personnes parmi lesquelles se trouvaient des hommes, des femmes et des enfants. La harka qui, elle-même, avait subi des pertes, passa par Founassa où elle pilla et massacra les Oulad Azzi. Les ksouriens de Moghrar ne trouvant plus rien à manger, se rendirent dans le Tell, à Oujda et à Tlemcen où ils estivèrent et où ils purent ramasser des céréales et de l’argent. A leur retour, ils louèrent, pour transporter leur gain, des chameaux aux Hamayyan, à raison d’une ghara de blé ou d’orge par chameau. Néanmoins, en rentrant chez eux, ils souffrirent et ce ne fut qu’un an après que les palmiers donnèrent une bonne récolte à Moghrar et à Figuig. Les Hamayyan qui s’étaient rendus dans le Tell, dans les environs de la plaine d’Angad et d’Oujda, furent attaqués par les gens des Angad. Ceux-ci, qui comprenaient avec eux les Mehaya et les Bani bou Zeggou, furent battus et prirent la fuite. Les montagnards accoururent aussitôt au secours des Angad et chassèrent les Hamayyan du Tell marocain. Ceux - ci s’arrêtèrent à Oglat Sedra (Maghnia), où ils furent repoussés de nouveau. Ils durent se rendre à Tlemcen. Mais là, le Makhzen turc chassa encore les Hamayyan, après avoir refusé le cadeau que ceux-ci lui offraient. Ces derniers rentrèrent chez eux sans rapporter de grains et allèrent, au mois de septembre, à Moghrar Tahtani, à Moghrar Fouqani et à Figuig. Durant toute l’année qui succéda, les Hamayyan ne mangèrent que des dattes et un grand nombre d’entre eux tombèrent malades. Heureusement, Dieu leur envoya au mois d’octobre de la pluie qui fit pousser l’herbe dans l’Oued Namous. A cette époque, les gens mangeaient du genièvre et des glands ; puis, au mois de novembre, ils mangèrent des herbes et se rendirent au Gourara. Au retour des caravanes du Gourara, les brebis ayant mis bas, ils purent s’alimenter de lait et de dattes. Cette année fut appelée « année de la soif » (el aâm el aâtech), parce que de nombreux Hamayyan moururent de soif en revenant au mois d’août, dans le Tell, d’où ils avaient été chassés. Un an après, Cheikh Mahmoud, cheikh des Hamayyan, rassembla 100 chameaux et 50 autruches qu’il alla offrir, en compagnie de plusieurs notables, à l’aâmel du Maroc afin d’obtenir l’autorisation d’acheter du grain au Maroc. Satisfaction lui fut donnée et des caravanes de Hamayyan se rendirent dans la plaine d’Angad et à Oujda, où elles achetèrent du grain sans aucune difficulté. Puis Cheikh Mahmoud alla encore offrir 100 chameaux et 50 autruches au Bey de Tlemcen, pour obtenir la même autorisation qui, d’ailleurs, lui fut accordée. Les Hamayyan purent vivre dans l’aisance, les gens de Moghrar leur achetèrent des grains qu’ils semèrent ; ils eurent une bonne récolte et eurent ainsi les moyens d’acheter des moutons et des chameaux. Enfin, parlant du commerce des plumes d’autruches avec les Hamayyan, le caïd Si Mohammad Ould Maâmar ben Dahou expose comment cet élevage se faisait : Les ksouriens recherchaient les œufs d’autruche. Ils les faisaient couver pour avoir des autruchons ; ils s’adonnaient ainsi à l’élevage de l’autruche. Chaque habitant de Moghrar possédait de 10 à 40 autruches qu’il vendait à raison de 50 à 250 francs l’une. La femelle qui s’appelait « roumada » produisait de deux à trois œufs. Dix roumadas pondaient dans le même endroit ; l’une d’elles couvait, tandis que les neuf autres pâturaient. La couveuse ne laissait paraître que la tête et le cou. Le chasseur savait, en l’apercevant, qu’elle couvait et la laissait ainsi jusqu’à l’apparition des autruchons qu’il prenait afin de les élever. Les gens de Moghrar possédaient des autruchons comme les nomades possèdent actuellement des moutons. Les commerçants de Tlemcen et d’Oran venaient acheter les autruches à Moghrar, où ils louaient les gens pour les élever. Les autruchons se nommaient « el fauchal », ils connaissaient la voix de la personne qui les élevait et la suivaient partout où elle se rendait. Les commerçants avaient de gros bénéfices dans ce genre de trafic. On élevait l’autruchon pendant un ou deux ans. Durant ce temps, il grandissait et apprenait à connaître ses maîtres et l’habitation de ces derniers, de telle sorte qu’ils allaient au pâturage et en revenaient seuls. Au pâturage, l’autruchon rencontrait d’autres autruchons qu’il ramenait à la maison de son maître. Celui- ci s’en emparait et les égorgeaient, puis envoyait l’autruchon à la recherche d’autres animaux.Les éleveurs marquaient leurs autruches d’une marque rouge ou verte, afin que les chasseurs ne les tuent pas. Certaines autruches allaient pondre dans le désert et ramenaient à l’habitation de leurs maîtres leurs petits qu’on égorgeait. La femelle seule rentrait chez ses maîtres, tandis que le mâle restait au dehors. Aussi, était-il égorgé et vendu dès qu’on le saisissait. Tels étaient les grands avantages de l’élevage de l’autruche pour les gens de Moghrar. Il y a lieu de remarquer à ce sujet que le pays actuel des Hamayyan était, il y a encore environ 40 ans, très peuplé par les autruches. Au moment de l’insurrection de Bou Amama en 1881, il y en avait de grandes quantités, principalement dans la région des Mekmen entre les Chotts Chergui et Gherbi, et vers les dunes de l’Aïn Malha et de la Sebkha de Naâma. Pour des causes inexpliquées, et autres que la chasse, elles émigrèrent brusquement vers le Sud, au-delà du Sahara et sur le versant du Niger. Il y a 4 ou 5 ans (1910), les indigènes racontaient qu’il en existait encore un couple dans la région de Tendrara (Bani Guil). Ce couple a disparu, probablement tué par les indigènes. C H A P I T R E I V L E T R A I T E D E 1 8 4 5 Avant la signature du traité du 18 mars 1845, nous n’avions que des données incertaines sur les Hamayyan. Cette même année le général Dumas, dans un ouvrage intitulé « Le Sahara Algérien », mentionne, ainsi que la correspondance officielle de l’époque, le partage de cette grande tribu en deux fractions, les Hamayyan Cheraga ou Trafi et les Hamayyan Gheraba ; nous avons vu dans quelles conditions ils s’étaient séparés. Les premiers appartiennent actuellement au cercle d’El Bayadh et les seconds, ainsi que les Rezaïna, tiennent du cercle de Méchéria. Voici quelle était leur composition : Oulad Abd el Karim Derraga Cheraga Oulad Ziad Oulad Mallah Trafi Oulad Serour Akerma Rezaîna Akerma Oulad Mansourah Chafaâ Oulad Khelil Bekakra Bani Metarraf HAMAYYAN Oulad Serour M’ghaoulia Gherraba Senden M’gan Oulad Embarek Jemba Oulad Toummi Oulad Farès Bani Ogba Frahda ; elles étaient trop perdues dans l’effroyable mélange d’individualités que des siècles d’anarchie avaient produit. Celles des Akerma, des Bekakra, des Rezaïna nous sont déjà connues ; quant aux autres, elles présentaient un extraordinaire caractère de diversités. Les renseignements que nous donnons à ce sujet, ci- après, le prouvent abondamment. M’ G H A O U L I A Les M’ghaoulia sont originaires des Oulad Ali du Guir (7 km de Bou Denib). Leur nom actuel veut dire «ogre» : il est dû, dit-on, à la bravoure qu’ils déployaient jadis dans les batailles et à la crainte qu’ils inspiraient à leurs ennemis. Ils ont été chassés de leur pays d’origine par les Beraber et, avant de venir dans la région qu’ils occupent actuellement, ils avaient construit un ksar, aujourd’hui détruit, à Tanezzara (80 km à l’Ouest de Figuig). Ce sont les Oulad Ali qui ont été la base d’origine des M’ghaoulia. Le douar Oulad Sbaâ est venu des Aït Sbaâ (Beraber). Celui des Oulad Mellouk, descend des Oulad Sidi Taj (annexe d’Aïn Séfra ). Ses ancêtres auraient été appelés Oulad Mellouk, à la suite du fait suivant : Leur aïeul, invité à suivre les gens des Oulad Sidi Taj qui voulaient quitter leur pays d’origine, ne voulut pas le faire, retenu qu’il était par l’amour qu’il avait pour une femme du pays. Les gens des Oulad Sidi Taj dirent alors : « Abandonnons ce possédé (mamlouk) et l’abandonnèrent. » Les Oulad Dahou sont des descendants d’un derrer ( instituteur ), qui avait exercé sa profession chez les Oulad Sidi Dahou, de Mascara. Les Oulad El Haj Messaoud sont venus du ksar d’Oudaghir (Figuig). B A N I O G B A Après avoir été séparées, les trois tribus composant les Bani Ogba ont été, en 1913 et 1914, réunies de nouveau et ne forment plus qu’un seul groupement. Oulad Farès : Ils sont originaires de Tunisie. Leur ancêtre s’appelait Benâgoun. C’est pourquoi on les appela d’abord El Aâouaguine. Ils furent ensuite appelés Oulad Farès (enfants de cavaliers) pour la raison suivante : Les Kessakiss, les Diama et les Oulad Mebarek qui formaient les Aâouaguine, ayant été chassés de Tunisie, se groupèrent ensemble dans le Sud Oranais. Dès que l’un d’eux montait à cheval pour régler une affaire personnelle, ses compagnons ne le laissaient pas partir seul. Par suite de l’accord qui régnait entre eux, tous le suivaient et prenaient son parti, comme s’ils étaient les enfants d’un seul cavalier. Ils se réunirent plus tard aux Frahda et aux Oulad Toumi pour former les Bani Ogba. Chez les Oulad Farès : Le douar Kessakiss descend des Bani Ogba, il vivait jadis avec les Al Aghouat, d’El Bayadh. Ce douar comprend aussi les Haouach, venus de Figuig et les Rezazna, originaires de l’Oued El Abed, près de Tagrmaret (Saïda). Le douar Oulad Oulia a eu pour véritable dénomination « Oulad Embarek ben Saïd ». Il est originaire des Amour d’Aïn Sefra (Oulad Gottib). Le douar Rebaât se compose ainsi : Des Rebaât, originaires des Sejaâ, près d’El Aïoun Sidi Mellouk (Maroc Oriental) ;des Zouaïd, originaires des Mehaya ; (Ces deux premières fractions fortment les Rebaât proprement dit). Des Diama, venus de Seqiat el Hamra ; Des Aouaguine, venus des Trafi. Le caïd actuel des Bani Ogba, Yahia Ould Saïd, descendant d’Ahmed ben Kaskas, appartient à une famille originaire des Bani Ogba, ayant eu des croisements avec les Al Aghouat, d’El Bayadh, et ensuite avec les Doui Meniî. Frahda : Le douar des Oulad Messaoud et le douar Oulad Abbou ne formaient jadis qu’un seul douar appelé « Oulad Ghani ». Ils descendaient des Bani Ogba ; quelques tentes venues des Sejaâ (El Aïoun Sidi Mellouk) se joignirent à eux. Le douar Oulad Hellal serait originaire des Bani Hilal, du Gourara. Oulad Toumi : Ils formaient jadis, avec les Frahda et les Oulad Farès, une petite confédération appelée « Bani Ogba ». Ainsi que nous l’avons dit précédemment, ce groupement a été reconstitué en 1914. La fraction Dhaïf Allah est originaire des Al Aghouat (El Bayadh). La fraction Oulad Larbi descend des Bani Ogba. La fraction Ziadna vient des Oulad Bou Zeïd, d’Aflou. Ces trois fractions forment le douar Oulad Toumi. Le douar Oulad El Haouar est originaire des Ghouati, fraction des Ahrar (Tiaret). Le douar Oulad Yahia descend des Al Aghouat (El Bayadh). L’origine de la tribu vient de la fraction des Oulad Larbi, qui s’allia avec Dhaïf Allah. Ce dernier fut choisi comme chef par les notables des deux groupes. Il eut deux fils jumeaux ( touam ), d’où le nom d’Oulad Toumi donné à ses descendants. O U L A D E M B A R E K Les Oulad Embarek ont un seul et même ancêtre, marabout venu de Seqiat el Hamra avec un noir nommé Embarek, qui était son bouab. Il s’installa à Tiout où il se maria. Il eut trois fils : Rajaâ ---- Allal --- Mohammad Le marabout étant venu à mourir, ses fils furent élevés par le noir Embarek. On les appela, pars suite, les Oulad Embarek, en souvenir de leur père adoptif. Rajaâ fut le premier chef de la tribu. Kaddour ben Allal qui, fatigué du séjour des ksours, amena la tribu dans la région qu’elle occupe actuellement et la fit s’adonner à la vie nomade. A K E R M A Avant la domination des Turcs, tous les Akerma, ceux d’El Bayadh, ceux de Méchéria et ceux du Maroc ne formaient qu’une tribu. Sous la domination turque, ils se partagèrent en trois groupes : le premier alla se fixer non loin de Fès, le deuxième alla avec les Trafi, et le troisième, avec les Hamayyan Gheraba. Les douars Oulad Zine (El Kohol), El Aouameur, Ezzourg, Kouader Oulad El Haj, appelé aussi Jeffala ( nommé ainsi à cause du temps très court qu’ils passaient dans chaque campement ; ils étaient considérés comme des gens excessivement peureux qui, au moindre bruit de guerre, s’enfuyaient et abandonnaient leur campement ), descendent tous des compagnons de Sidi Maâmar ben Alia, dont le noir Akerm avait l’administration. Ils ont donc la même origine que les Akerma d’El Bayadh. Les Oulad Ali viennent de Figuig. Les Remdna sont originaires du Gourara (ksar de Ksabi). Les Guenatza descendent des Oulad Sidi Ali ben Yahia, d’El Bayadh. Les Oulad Hammou tirent leur origine des Jaâfra (Saïda). Le douar Oulad Bou Salem, appelé aussi douar Oulad Ameur, comprend deux groupements différents : Les Oulad Bou Salem, dont l’ancêtre Salem appartenait aux Akerma purs et qu’on dit être d’origine koreichite ; Les Oulad Ameur, qui viennent des Oulad Nahar (El Aricha). L’ancêtre des Oulad Ameur, auquels appartient le caïd actuel, se nommait Ben Aïssa ben Amar, des Oulad Yahia, fraction des Oulad Sidi Chadli, de Sidi Amar Chérif. Il s’installa dans la région en l’an 1032 de l’ère Hégirienne, fuyant sa tribu où il avait commis un meurtre, il trouva un refuge chez les Akerma. Le douar Daâlize a pour origine des bergers qui venaient de la zaouia de Kenadsa et qui, employés au service des Akerma, se fixèrent parmi eux et formèrent une fraction. Ils furent appelés Daâlize en signe de mépris parce que l’un d’eux, ayant trouvé à terre un croissant de métal, affirma qu’il était tombé des cieux. O U L A D M A N S O U R A H Le douar Chouareb est en partie originaire du Gourara. Il a absorbé les Mokhaïssa, qui furent jadis les premiers groupements des Oulad Mansourah, avec les Khelakhil et les Sehaba. Le douar Khelakhil vient de Saqiet el Hamra. On prétend qu’il appartint aux Arabes Moucha. Le douar Negagza vient des Trifa. Le douar Oulad Balagh vient de la tribu des Oulad Balagh (Saïda). Le douar Sehaba vient des Jaâfra (Saïda). Le douar Baraniyne vient des Oulad Sidi Mohammad ben Slimane, d’El Bayadh, et des Oulad Sidi Moussa, d’Oujda. Avec le douar Chouareb se trouvaient quelques tentes des Rezaïna, des Mehaya et des Bani Guil. O U L A D K H L I F Le douar Oulad ben Slimane et le douar Oulad Amor tirent leur origine des Oulad Kharoubi Cheraga. Le douar Abadba vient des Oulad Mallah (cercle d’El Bayadh). Le douar Oulad Tahar vient des Angad (El Aricha). Une de ses fractions dite « Bekakra » vient des Oulad El Haj (Moulouya). B A N I M’ T A R R E F Le douar El Maâchate est originaire des Jaâfra Oulad Daoud (Saïda). Le douar El Messâadat est originaire de Saqiat el Hamra. Le douar El Guetati descend des Haouara (Maroc Oriental). Le fondateur de ce douar portait sur le sommet du crâne la longue mèche de cheveux « guetaya » par laquelle les vrais croyants seront portés par l’ange Gabriel au paradis. Mais cette mèche était d’une longueur démesurée et il fut surnommé l’homme à la mèche (el guetati). Les Oulad Attia viennent des Bani Snouss, non loin de Sebdou. Le douar El Aouachir vient des Oulad El Haj, de la Moulouya (près de Debdou). Les Oulad Tahar descendent des Mehaya. Avant la domination turque, la tribu campait généralement à la tête de l’Oued Namous. B E K A K R A Le douar Oulad Salem eut pour ancêtre Salem ben Amara, des Mezaouir, habitant chez les Angad (Oujda). Cet ancêtre se joignit à la clientèle de Bekkar. L’Agha el Haj Kaddour Ould Boufelja fut son descendant direct. Le douar Mouaâleq est originaire de Seqiat el Hamra. Le fondateur de ce douar, Malek, vint à se joindre aux gens qui se groupaient autour de Bekkar. Le douar Daâmcha est originaire du ksar de Dghamcha dans le Gourara. Le fondateur avait les yeux chassieux « daâmech », ses descendants furent désignés sous cette dénomination. Le douar Rezazga est originaire de Marrakech. Le fondateur de ce groupement était un nommé Rezoug. Le douar Oulad Fahma est aussi originaire de Marrakech. Son fondateur se nommait Ali. Il mourut en laissant en bas âge des enfants dont sa femme Rahma s’occupa. Le douar Debabda avait pour ancêtre un nommé Debab, venu du ksar de Bou Anane (Haut Guir). Le douar Aouissat est originaire des Ghenanma (Oued Saoura). Le douar Zelalta avait pour ancêtre un nommé Ben Zellat, originaire de la plaine d’Elghriss (près de Mascara). Les Abidat et les Zelalta ne forment qu’un seul groupe ; les Abidat ayant pour origine des rejetons esclaves ayant appartenu aux Zelalta. Le douar Rouabah est originaire des Oulad Sidi Khalifa Cheraga (el Kheither). Le douar El Merahate vient de la tribu des Bani Ameur, campés à Tessala, dans le Tell Oranais. Des Bekakra s’installèrent jadis dans la vallée du Haut Guir. Il en existe encore actuellement au ksar de Bou Anane. Ils sont restés en relation avec leurs parents de Méchéria. O U L A D S E R O U R Le douar Oulad ben Slimane est originaire des Oulad Sidi Ali ben Samah, des Bani Oukil, de la qasbah de Sidi Takreuk, près d’Oujda. Il fut conduit dans la région qu’il occupe actuellement par un nommé Ben Jebbar. Les gens de ce douar, auquel appartient le caïd actuel, Larabi Ould Tayeb, se Disent Cheurfa, comme descendants de Sidi Ali Ben Samah, enterré à Maqam, au sud des Bani Bou Zeggou et de Debdou. Ils ne peuvent prouver leurs droits à ce titre. Le douar des Oulad ben Cheikh prétend avoir la même origine que le douar des Oulad ben Slimane et ne former qu’une seule branche avec eux. Les Oulad Negadi viennent des Angad, fraction des Mezaouir. Le douar Harakta descend en parti des Doui Meniî Idersa, douar Oulad Embarek, et en partie des Sejaâ (El Aïoun Sidi Mellouk). Les douars El Maârif et Oulad Bou Azza ont une origine commune, il sont venus du Draâ.Tous les Oulad Serour formaient jadis une grande famille. Ils sont actuellement répartis entre : Méchéria, El Bayadh, Tanira et Fès. O U L A D M E S S A O U D (G H I A T R A) Le douar Oulad Lakhdar est originaire des Angad. Des deux douars des Kenadsa et des Khelakhil, les gens de celui des Kenadsa se rattachent comme origine aux descendants de Sidi Maâmar ben Alia ; ils eurent comme ancêtre le nommé Messaoud. L’ancêtre des Oulad Rahal est originaire des Ghenanma (Oued Saoura). Tous ces gens étaient groupés autour de Messaoud, qu’ils avaient choisi pour chef. Après sa mort, le commandement passa à Lakhdar ben Ziad, originaire des Mezaouir, fraction des Mehaya (Oujda), puis à son fils Ahmed ben Lakhdar. La tribu actuelle des Oulad Messaoud et celle des Oulad Ahmed ne formaient jadis qu’un seul groupement appelé Ghiatra. O U L A D A H M E D (G H I A T R A) Les Oulad Ahmed disent que les gens du douar Oulad Ahmed se composent exclusivement de Jouad et assurent ne jamais contracter d’alliance avec des étrangers. Le douar Oulad Chaoui est venu des Chaouïa ( Maroc ). Le douar Oulad Ahmed descend directement de Sidi Maâmar ben Alia ; il compte dans sa lignée le fameux Cheikh Mahmoud, qui commanda à tous les Hamayyan. Le douar Oulad Mimoun se serait formé dans la région de Saqiat el Hamra. R E Z A I N A C H E R A G A E T G H E R A B A L’ensemble des deux tribus des Rezaïna se groupe en quatre fractions, descendants d’une façon générale des gens qui accompagnèrent Sidi Maâmar ben Alia et qui furent administrés par son bouab Rezin. La légende raconte que Rezin, installé aux Arbaouat, eut quatre fils : Ahmed -----Aoun ----- Hellal ----Ameur Ceux-ci se marièrent à leur tour et fondèrent une descendance : ceux d’Ahmed s’appelèrent les Oulad Saâda, parce que la femme d’Ahmed s’appelait Saâda. Les descendants d’Aoun se nommèrent Oulad Aoun. Ceux de Hellal prirent le nom de Oulad Hellal. Et, enfin, ceux d’Ameur s’appelèrent Bessaïs. En réalité, les gens des Bessaïs sont originaires de Boussemghoun. Leur ancêtre s’allia avec les administrés de Rezin et installa son campement auprès des leurs. Actuellement les Oulad Hellal comprennent les douars : Oulad Mohammad, originaire des Oulad Jerir Khechaâ premier et deuxième Merabaâ, originaire des Beraber (Aït Atta) Oulad bel Mehdi des Oulad eL Aïd Rezaïna Oulad Nehari Cheraga Hechalfa Chouaouka El Merakhis Oulad Khalfallah des Rezaïna Gheraba Oulad Mohammad ben Aïssa Les Oulad Aoun se composent de : Oulad Kouider, originaires des Oulad Sidi Ali ben Yahia (El Bayadh) El Abs, originaire des Angad des Rezaïna Cheraga Nouaoura Oulad ben Dida El Maâdna, originaires de Frenda Les Oulad Saâda comprennent : Therdane Oulad Jilali des Rezaïna Cheraga El Ababsa Oulad ben Chekor, originaires des Ghenanma (Oued Saoura) Oulad saâda, premier et deuxième des Rezaïna Gheraba El Gorina Souarit Les Bessaïs comprennent : Jelaghta, premier et deuxième El Mejadib Kouabi des Rezaïna Gheraba Khelaouit Ayaïda Chez les Oulad Saâda se trouvent quelques familles originaires des ksours d’El Ahmar et de Boukaïs. Leurs ancêtres, qui étaient des tolba, vinrent dans la tribu, s’y fixèrent et s’y marièrent. Quelques autres indigènes des Oulad Saâda eurent un ancêtre originaire des Angad (les Teloh). Tous les autres douars des Rezaïna, pour lesquels une annotation spéciale n’a pas été mise, se considèrent comme descendants, plus ou moins directement, de la famille de Rezin et comme frères des Oulad Ziad. S E N D A N La famille du caïd actuel des Sendan est originaire de l’Egypte. Son ancêtre, Abderrahmane ben Abdallah, vint se fixer au Gourara, dans la région d’Aougrout. Plus tard, la branche à laquelle appartient le caïd émigra vers les Hauts Plateaux oranais, où elle forma le noyau de la tribu des Sendan. Elle fut conduite par Abderrahmane ben Megtouf, qui quitta le Gourara pour se livrer au commerce, amassa une grosse fortune et se fixa dans la région située près de la tête de l’Oued Namous. La famille du caïd est toujours restée réunie dans cette tribu. Elle constitua la fraction des Megatif dont, actuellement, tous les membres, à l’exception de cinq, sont des parents du caïd. La liaison n’a jamais été perdue entre les Sendan et leurs parents d’Aougrout. Tous les ans encore, à l’époque des grandes caravanes, le caïd ou ses frères vont visiter les leurs qui jouissent d’une grande considération au Gourara. Leur cousin, M’hammed Ould Cheikh, est actuellement caïd du district d’Aougrout. Tous les caïds qui se sont succédés dans la tribu des Sendan, avant et pendant l’occupation française, ont appartenu à la famille du caïd actuel, El Haj Othman. Autour du noyau amené par Ben Abderrahmane ben Megtouf vinrent se grouper : • El Bachir ben Younès, venu du ksar El Ahmar, qui fut l’ancêtre du douar El Menacir ; • Saâd bel Berrichi, originaire d’Oujda, fondateur du douar Berarcha ; • Mohammad ben Bou Yahia, venu du Jebel Ksel (ou Kessal), qui fut le fondateur du douar Oulad ben Yahia ; • Belgacem ben Ali, originaire des Oulad Jerir, qui fut l’ancêtre du douar Oulad Belgacem. M’ G A N Les M’gan ne formaient qu’un seul douar, le douar Oulad Fqih. Leur ancêtre, venu du Gourara, était un savant (fqih) originaires des Oulad Saïd (Timimoun). Les Bouaki et les Behahza furent de pauvres gens venus surtout du Tafilalet qui se groupèrent autour d’eux. Les Oulad Saâd viennent d’El Himer, près de Maghnia ; ils ont des parents dans la commune mixte de Chellala (département d’Alger). Les M’gan et les Oulad Embarek ne formaient jadis qu’un seul groupement. Il eût été nécessaire que les renseignements qui précèdent fussent connus du général de la Rue, chargé de négocier, en 1845, la convention spéciale de délimitation de la frontière algérienne. Cet officier général, mal documenté, fut placé dans des conditions peu favorables pour mener à bien sa mission et, faute de précisions suffisantes, des difficultés surgirent bientôt au sujet de l’attribution à la France de la totalité des Hamayyan Gheraba, le Maroc réclamant les Jemba. Le général Lamoricière avait écrit le 4 janvier, au Ministère de la Guerre, sans faire de distinction entre Chafaâ et Jemba : »La tribu des Hamayyan ne nous a fait aucune soumission, mais elle est algérienne ». On ne songeait pas encore à ce moment à occuper les Hauts Plateaux. Le traité dut, en outre, être signé à la hâte. Pour déterminer les tribus du Sud, que nous étions en droit de réclamer comme algériennes et celles que nous devions reconnaître comme marocaines, les renseignements furent fournis par des notables indigènes tels que le caïd de Tlemcen, Si Hammadi Sakals et l’agha de la montagne de l’Ouest, Si ben Abdallah. Il était facile, dans ce cas, aux plénipotentiaires marocains de tromper la bonne foi du négociateur français. La convention laissa sous la dépendance du Maroc les Hamayyan Jemba ; les Chafaâ furent placés sous notre autorité. Cette distinction devait créer dans la suite une situation difficile. L’article 7 offrait sans doute un palliatif ; il stipulait, en effet, que nous étions disposés à accueillir, en n’importe quel nombre, les individualités de l’Etat voisin qui viendraient se réclamer de notre autorité. Cette mesure, qui visait surtout les Jemba, était insuffisante. Peu de temps, en effet, après la signature du traité, le général Pélissier écrivait : Dans les régions sahariennes, le traité de 1845 a laissé se créer plusieurs anomalies. C’est ainsi que les Jemba, fraction des Hamayyan Gheraba, relèvent du Maroc. Cependant cette fraction campe toujours sur notre territoire ; elle a toujours fait avec les Chafaaâ ses approvisionnements dans le Cherg ; du temps des Turcs, comme sous la domination d’Abd el Kader, elle payait la zakat à l’Algérie. C’est ce que peuvent témoigner de nombreux fekkas, autrefois employés au paiement de l’impôt et qui se trouvent aujourd’hui à Tlemcen. Ces Jemba devaient donc rentrer sous notre domination ; leurs chefs qui ont eu avec nous de fréquents rapports, sont disposés en notre faveur et ne feront certainement aucune opposition du jour où l’influence hostile de l’Empereur du Maroc et les intrigues de Sidi Cheikh ben Tayeb n’empêcheront plus les Chafaâ dissidents de nous revenir. ». De son côté, M . Bourée, ministre plénipotentiaire à Tanger, émettait la même opinion : « Pour les Hamayyan Jemba, disait-il, ils sont nomades ; de tout temps, ils ont erré dans le Sahara marocain et le Sahara algérien. Autrefois, ils dépendaient des beys ; cette tradition les rapprochait de nous ; mais, d’autre part, le traité les attribue à l’Empereur du Maroc, disposition à laquelle ils n’ont naturellement pris aucune part. Aujourd’hui, les Hamayyan sont venus et paraissent s’être définitivement fixés sur la partie du territoire saharien, où il est entendu que nous dominons ; ils ne paient rien à l’Empereur qui ne les fait pas chercher si loin. Etrangers accueillis chez nous, ils ne figurent pas sur nos régistres d’impôts et nous n’exigeons par conséquent rien d’eux. Cette condition les convient fort et ils en désirent la prolongation. Pour les repousser, nous n’avons aucune bonne raison, d’autant moins que les agents de l’Empereur ont sur eux des prétentions si modestes qu’on nous a adressé des excuses pour avoir tenté de les rechercher et de leur faire payer l’impôt l’an dernier. Les Jemba s’éloignent, en venant chez nous, du contact des tribus avec lesquelles ils sont en mauvais termes et contre lesquelles ils luttent quelquefois. Nous les accueillons, mais l’on ne peut guère partir de là pour requérir, par la voie diplomatique, l’Empereur, de nous les abandonner, cela quand nous lui réclamons nous-mêmes, nos tribus émigrées. S’il y avait concession, nous nous trouverions, il est vrai, investis du droit de leur réclamer l’impôt ; mais dans le Sahara, l’impôt est-il bien intéressant ? L’essentiel est qu’ils achètent chez nous. Le Sahara me semble, avant tout, un terrain d’intérêts commerciaux. Les difficultés venant surtout de l’impossibilité où l’on était, de fixer une frontière avec des populations d’un esprit aussi indépendant que les Hamayyan. En répartissant mieux les tribus et les ksours on eût évité même de songer à une frontière. Chaque tribu nomade a ses parcours définis, ses points d’eau consacrés, en un mot son domaine pastoral toujours respecté en temps normal par les tribus voisines ; c’est ce qu’exprimait en ces termes, M. Waddington, ministre des affaires étrangères : « on avait reconnu dès ce moment l’impossibilité de délimiter ces contrées, où la terre est de libre parcours, les habitudes et les intérêts des populations nomades ayant toujours plus de force que les stipulations diplomatiques ». La politique à suivre devait donc être désormais d’attirer, de capter et de fixer les tribus nomades du Sud. D’ailleurs, l’absence de frontière, si elle créa des difficultés que l’on exagéra, procura aussi des avantages réels. A plusieurs reprises, le Maroc tenta vainement de nous arrêter et nous avons pu ne pas écouter ses réclamations et poursuivre notre installation dans cette contrée. Malgré la ruse qui les faisait Marocains, les Jemba sont restés unis à notre autorité, nous payant les impôts et acceptant les caïds de notre choix. Installés presque toujours à l’Est des Chafaâ, ils portèrent leurs campements souvent jusqu’à la route qui relie Saïda à El Bayadh. Par suite, s’ils étaient venus à se réclamer du Maroc, deux cas se seraient présentés : ou bien, continuant à vivre sur leurs terrains de parcours habituels comme l’article 4 leur en donnait le droit, ils se seraient trouvés enclavés au milieu de populations reconnues algériennes, ou bien, se retirant dans l’Ouest et abandonnant leur pays, ils se seraient installés dans ces régions au détriment des premiers occupants. Les deux solutions n’étaient pas plus admissibles l’une que l’autre, car dans le premier cas nous n’aurions jamais toléré la présence, au milieu de nos administrés, de fractions étrangères échappant à notre domination ; dans le second, les inconvénients qui en résulteraient pour eux étaient tels que, chaque fois que le fait se produisit, ils s’empressèrent de venir d’eux-mêmes se replacer sous notre autorité. D’autre part, ainsi que le constatait le général Chanzy, les Jemba fréquentaient tous les marchés de l’Ouest, mais de préférence les tribus de la plaine de Sidi Bel Abbès qu’ils gagnaient par la vallée de la Mekkera, désignée par eux sous le nom de « Foutoul » et celle du Haut- Isser ; les Chafaâ ont toutes leurs relations avec les tribus de Tlemcen, par la route de Sebdou. Enfin, tous les Hamayyan Gheraba ensilotaient dans les ksours du cercle d’Aïn Sefra, dont ils partageaient la possession avec les Amour. Il y a lieu de remarquer qu’au moment où le traité de 1845 fut signé, tout le Sud Oranais était en pleine effervescence, et qu’on ne pouvait prévoir, ce qu’aurait à créer, dans les détails, l’œuvre de pacification que nous allions poursuivre. L é g e n d e 1 -- Il a été jusqu’ici impossible de démontrer si la race berbère était d’origine aryenne ou d’origine sémitique, mais il est probable qu’elle a subi ses deux influences. 2 -- Récit du qaïd El Mir Ould El Haj Nacer, des Rezaïna Gheraba et de Ahmed ben Mohammad chef du makhzen de Méchéria. 3 – Documents fournis par l’Agha El Haj Kaddour et son fils Boufelja, qaïd des Bekakra. 4 – Au sujet de l’étymologie du mot « Moucha », certaines personnes indigènes ont dit qu’il signifiait « chatte » chez les Arabes du sud oranais. D’autres ont prétendu qu’il fallait y voir le mot « Macha » désignant « des effets de peu de valeur » ; et en l’espèce, voulant dire que les Arabes Moucha ou bien étaient pauvres, ou bien étaient des vauriens. 5 – Il est admis, dans l’extrême sud, que lorsque les Doui Meniî vinrent s’implanter dans la vallée du Guir, ils trouvèrent cette contrée occupée depuis 1285 par des Arabes Zoghba, les Hamayyan, ramenés par Yaghmoracen roi de Tlemcen. Il les en chassèrent et s’établirent à leur place. Toutefois, une fraction des Hamayyan parvint à se maintenir dans le Nord-Est, vers Béchar et Ouakda, et dans le Jebel Béchar. C’est d’elle que descendraient les Oulad Jérir.